Je ne sais que penser de ce recueil de nouvelles sobrement intitulé en français Contes de la folie ordinaire, et qui aurait du, s'il avait été traduit tout à fait fidèlement, s'intituler Érections, éjaculations, exhibitions et contes de la folie ordinaire, de Charles Bukowski. En fait, si la première nouvelle du recueil The most beautiful woman in town m'avait bouleversé, j'ai été assez déçu et mis mal à l'aise par les nouvelles suivantes qui fleurent bon le transit intestinal, la gnôle et les dégueulis de sperme sortant d'orifices féminins et même masculins. L'auteur semble mettre en place une forme d'ignoble autofiction assez originale qui mêle sa réputation d'écrivain à succès, son passé judiciaire, sa carrière d'objecteur de conscience, sa médiocrité intellectuelle, ses velléités sexuelles et son alcoolisme profond, ainsi qu'une forme de mal-être contemporain vis-à-vis de la société protestante de consommation somme toute assez classique chez les écrivains américains. Cependant, il est vrai que la sauce ne prend pas vraiment : si le style est vraiment agréable et d'une vulgarité (ou d'une grossièreté?) qui donne tout le sel au livre, le fond est assez répétitif et parfois est sinon inutile, du moins légèrement vain. A mi-chemin entre le génie et la vacuité littéraire, le lecteur se trouve ainsi coincé entre l'illustre réputation de Bukowski et une forme de malaise : le livre n'est objectivement pas aussi exceptionnel que cela.


Bien sûr, il y a des choses très intéressantes dans ces nouvelles. Comme il a été dit précédemment, Bukowski est mal à l'aise avec cette société, ses règles, et se réfugie dans des plaisirs à court terme que sont l'alcool, le sexe, la bouffe et la défécation. Il est la symbole même de la médiocrité, de l'humain ayant perdu toute dignité et qui salit tout ce qu'il touche, prisonnier de ses addictions et de ses échecs professionnels. L'homme est gros, minable, se branle, chie et fait preuve d'une auto-critique si franche qu'elle en devient aussi admirable que pitoyable. Cette folie ordinaire de Charles Bukowski dévêtit et met à nu l'homme moderne, le réduit à une machine physiologique en sécrétion constante et qui tente de concilier son état d'animal et d'homme devant garantir son statut dans la société, mais qui n'y parvient pas. Il est également notable que l'auteur dépeint une drôle d'image littéraire de la figure féminine qu'il ne réduit absolument pas, contrairement à ce qui pourrait être senti à la lecture du recueil, à une machine à baiser. Si Bukowski semble parfois réduire la femme à un objet, à la déshumaniser, à quasiment la violer (d'ailleurs, il semble avoir deviné le mouvement Me Too avant l'heure), la figure féminine est sans doute la plus digne, quasiment divine, du recueil et qui recèle une sagesse inatteignable, fragile, suicidaire. Quelques moments de grâce émaillent le recueil, notamment sur la prison, mais le reste est parfois un peu léger.


Quant au style, c'est évidemment le point fort du roman. La lecture est fluide, simple et semble avoir mis le registre familier au centre des nouvelles. Certains extraits sont particulièrement fleuris, comme celui-ci par exemple qui vaut le détour : Barney l'a enculée pendant qu'elle me suçait ; il a fini le premier, a fourré son gros orteil à la place, l'a tortillé. De nombreuses scènes de sexe, comme celle d'une fellation prodiguée par un homme, d'une proposition pédophile de la part d'un petit mexicain tentant de vendre sa sœur de douze ans ou encore de pénétration avec une obèse, sont là pour faire le job. Si, bien sûr, il y a également de jolis moments, ils sont tout de même rare. Si ce style est très agréable à lire, et laisser échapper des rires outrés, la constance et la complaisance dans le pire, destinées clairement à choquer le bourgeois, peuvent parfois devenir lourdes à force et ne peuvent pas se suffire à elles-mêmes pour faire une oeuvre littéraire un tant soi peu qualitative. Cela est très rare mais je ne sais définitivement que penser de ces contes, et me demande ce que cela pourrait donner dans le cadre d'un roman : une infamie décuplée sans doute.

PaulStaes
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Livres lus

Créée

le 12 mai 2019

Critique lue 299 fois

Paul Staes

Écrit par

Critique lue 299 fois

D'autres avis sur Contes de la folie ordinaire

Contes de la folie ordinaire
-IgoR-
8

Trois femmes, trois poulets, douze singes

Buk, le vieux salaud à cinquante ans. Cinquante années de bitures, baises, bières, portos, vomis, errances, emprisonnements, insultes, bagarres, poèmes, cuites, whiskys à l'eau, nouvelles, romans,...

le 18 févr. 2014

32 j'aime

9

Contes de la folie ordinaire
Mohammed_Dupondt
1

Charles, ou le meilleur moyen de ne pas boire du Roundup à la bouteille

Des livres qui ont changé ma vie, je veux bien, mais à part Le Code la route, et Le Code pénal, je vois pas trop. Par contre, il y a tous ceux qui m’ont donné envie de boire du Roundup à la...

le 20 sept. 2018

24 j'aime

34

Contes de la folie ordinaire
Fosca
8

"Pour s'en sortir dans une nouvelle, il faut du cul, beaucoup de cul, si possible"

Bukowski, c'est l'incarnation même de la dépravation, de l'ivrognerie et de l'anticonformisme. Ce mec est complètement barge, en tout cas, suffisamment pour que l'on ne doute pas une seconde de la...

le 28 août 2015

23 j'aime

9

Du même critique

La Tresse
PaulStaes
3

Niaiseries, caricatures et banalités.

Laetitia Colombiani a écrit un livre de magasines féminins bas de gamme, qui ferait presque rougir Amélie Nothomb ou Marc Lévy par sa médiocrité. Pourtant, l'envie était très forte : une publicité...

le 2 juil. 2017

23 j'aime

10

Orgueil et Préjugés
PaulStaes
5

Les aventures niaises et mièvres des petites aristocrates anglaises

Âpre lecteur de classiques en tout genre, admirateur absolu de tous les stylistes et grands romanciers des temps perdus, je m'attaquai à Orgueil et Préjugés avec l'espérance d'un nouveau coup de...

le 21 sept. 2022

17 j'aime

11