Le narrateur, un homme de cinquante ans, qui se laisse enfin choir au fond de cette crevasse dans le but d’y crever, déroule son existence, à la deuxième personne du singulier, comme si c’était la tienne, comme s’il se détachait de lui-même.

Alors tandis que tu glisses dans le fond de cette crevasse, et que tu te refroidis en découvrant une existence si glauque, de ce trou tu regardes la dureté d’une vie.

Chemin d’une existence passée "à grimper vers le bas", le récit de cette vie est parfois insoutenable, l’existence d’un enfant rejeté par ses parents, souffre-douleur chronique, essayant par périodes de se trouver une place, prostitué, sans-abri, vendeur de maquillage dans le quartier de Pigalle, ouvreur à l’Opéra Garnier, pion, et toujours tombant dans les abimes de la solitude et de la dévalorisation.

Cet homme qui se méprise observe son corps à la loupe ; enfant, son sexe minuscule et son physique de tronc de brocoli ; adulte, comptant ses grains de beauté et ses lignes dans le cou ; découverte de cette chair, de ses imperfections.

«Tu te sens bien dans cette chambre. Ça te ressemble, il n’y a rien d’attachant. Rien n’est précisément posé là pour rendre la vie acceptable. C’est un lieu qu’on oublie où tu disposes ton nécessaire. La table, la poignée, le papier peint, le cadre du lit, les volets horizontaux, tout est marron. C’est un fanatique des merdes de chien qui a décoré l’hôtel. Ça sent la cigarette.»

À quelques moments rares, son chemin est émaillé de chance, comme avec ce poste qu’il décroche à l’Opéra Garnier, témoignages d’une résistance et d’un instinct de survie qui sont toujours vivaces. Mais malgré cela il avance vers le vide, grimpant dans la montagne lors de séjours répétés à Chamonix, répétant chaque jour la même ascension vers le Grand Paradis et enfin vers la chute dans cette crevasse.
MarianneL
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le 25 juin 2013

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