De la pauvreté et de la richesse des êtres humains
Il est de fait que certains ouvrages, de part leur forme, ratent leur cible principale. Paradoxalement, c'est leur vérité même qui est cause de cet échec. Ici, la sincérité de l'auteur Pierre Bourlier est incontestable; de même son intelligence de la réalité subjective du plus grand nombre. C'est sa raison même qui rend la démarche inopérante : les "pauvres" ne veulent ni sermons ni exhortations, n'en ayant déjà que trop entendu. La souffrance est trop grande et ne veut donc pas se réveiller, cherchant plutôt et à tout moment l'anesthésie et l'oubli. Ce dont, justement, la domination est grande productrice et dispensatrice : il en va de sa propre survie et continuité.
Beaucoup de choses fort intéressantes pourtant en ce livre, qui aurait certainement gagné à être plus concis, plus resserré.
Voici quelques extraits particulièrement signifiants pour qui est en mesure de les entendre :
"Ils sont nombreux, ceux qui avaient accepté que l'humanité soit organisée comme une machine à broyer les vies, et qui aujourd'hui s'insurgent, au moins verbalement, contre l'emballement de cette machine. "
"Oui, cela fait bien longtemps que la domination s'invente des raisons d'être et d'effroi. Cela fait bien longtemps que la Terreur est imposée dès que l'affirmation d'une force de vie échappe à la neutralisation marchande et met en péril le capital. "
"Nous ne savons pas qui nous sommes, mais nous avons des ennemis pour nous connaître. "
"Nous voulons nous reprendre, réintégrer cette âme, rendre à notre vie ses mots, sa valeur et son histoire. Nous voulons réhabiliter le geste et la parole, afin qu'ils ne soient plus les outils de notre assujettissement. Nous voulons régénérer la communauté humaine."
"Qui ne reconnaît pas sa pauvreté restera dans la misère. Voilà la plus banale des vérités. "
"Regardez autour de vous, toute cette terre mise à nu, toute cette eau rompue et empoisonnée, tous ces matériaux morts, massacrés, uniformisés, toutes ces lignes droites, toutes ces surfaces vides ! (...) Nous vivons à l'époque où le paradis marchand est réellement devenu le désert invivable qu'il a toujours tendu à être. "
"Notre misère n'est pas censée exister socialement parce qu'elle est la défaite de notre existence sociale. Elle semble être un fardeau appartenant à l'intimité subjective, parce qu'elle est ce qui empêche le partage de la subjectivité. "
"Elle nous rend malades, cette misère de tout le monde que nous avalons seuls tous les jours. Elle nous pourrit d'autant plus que nous ne l'avouons pas, d'autant plus que nous en faisons une tare individuelle, une honte personnelle. Nous nous torturons tant que nous ne la voyons pas pour ce qu'elle est : un désastre communément partagé, la ruine concrète des moyens de notre vie sociale. "
"Ce processus qui exige de nous le don, qui nous permet de nous comprendre dans l'échange, c'est ce que nous appelons la pauvreté, notre désir de richesse. Elle est ce qui génère la valeur qui s'exprime dans nos échanges, elle est proprement le valoir, ce qui fait d'une chose une richesse. "