Un arbre gigantesque serti de diamants s'élève devant les yeux ébahis de l'assassin. S'il sait qu'entre les branches éblouissantes de l'arbre se tapit un serpent monstrueux, il avance tout de même pour poser la main sur les pierres précieuses et ne parvient pas à échapper au gouffre acide de la gueule de l'atroce reptile. De ce rêve étrange, il ne s'élève rien de très important si ce n'est une vague impression, celle d'une inexorable tendance chez cet homme à faire le mal, sans explications, sans raisons, sans mobiles. Quand, dans la campagne du Kansas, deux jeunes hommes s'introduisent dans la maison d'une famille sans tord pour la massacrer dans la plus extrême sauvagerie et pour le modeste butin de 40 dollars : la même question se pose frénétiquement. Pourquoi un homme sain d'esprit peut-il tuer sans mobile déterminant ? Pourquoi fait-il cela alors qu'il sait pertinemment que cela produira des effets tragiques ? Si la criminologie a toujours séparé les criminels rationnels des criminels pathologiques, l'intérêt pour ces tueurs rationnels aux mobiles irrationnels n'est que très récent, et recèle toujours autant de mystères. Il n'est alors pas étonnant que l'incroyable écrivain Truman Capote se soit passionné pour cette question quitte à en détruire sa propre vie et sa propre carrière par cette recherche effrénée d'une réponse qui ne finira pas de bouleverser les esprits les plus sains : celle de la question des origines du Mal, celle de la question de la monstruosité pourtant si humaine, celle de l'énigme insondable de la nature de l'Homme. Des questions auxquelles l'auteur ne parvient désespérément pas à répondre.
Difficile ne de pas être insensible à l'effort fourni par l'auteur afin d'écrire cette prodigieuse fresque infernale qui se pose sans cesse la question du crime et du pardon. Ces êtres aux actes terribles, dénués de remords, qui vivent ainsi sans jamais sembler comprendre réellement la raison d'une telle propension à commettre le crime, sont déstabilisants par leur manque profond de rationalité et l'absurdité de leurs conduites. Ils déstabilisent aussi et surtout par leur troublante et touchante humanité. S'ils sont tous les deux dans une souffrance personnelle et affective profonde depuis leur enfance, ils paraissent avoir développé une forme de froideur réelle, une déformation terrible du sens moral et un relativisme éthique incroyable. Il serait bien trop complexe de décomposer le phénomène meurtrier tel qu'il a été autopsié par l'auteur, mais il faut admettre que la complexité de tous les personnages est tellement creusée, avec une précision et un talent incroyables, que le roman prend rapidement aux yeux du lecteur un air de chef-d'oeuvre. Certains passages sont très intenses et dépeignent incroyablement par ailleurs le regard compatissant des gens honnêtes dont la résilience, la capacité à pardonner et l'humanité contrastent avec l'horreur des actes criminels qui fondent le roman. Truman Capote réussit l'exploit de ressusciter les victime pour nous faire vivre la tragédie de leurs morts à nouveau, sonde la complexité morale de l'être humain et offre un roman du "true crime" américain qui marquera à vie la littérature américaine. Cette cicatrice littéraire n'a d'égale que la stigmate laissée dans l'esprit de l'écrivain, qui n'écrira dès lors plus jamais, comme s'il avait été aspiré par la gueule reptilienne de son sujet. Un sujet marqué par le sceau de l'absurdité.