François parle beaucoup. Il bavarde, digresse, raconte sa vie de petit voleur, né d’une mère toxico que l’on a maintenue en vie, le temps qu’il émerge de son ventre. Un père inconnu, des grands-parents décédés trop vite, il a connu l’assistance, ballotté entre plusieurs familles d’accueil avant de verser dans la délinquance. Il n’a jamais rien fait de ses dix doigts, à part sculpter des noyaux de cerise et des grains de riz. Un vrai travail d’orfèvre. Mais, jamais des pépins. Ça, il le garde pour ses relations avec les femmes. À l’origine de la géniale combine des valves, il a cependant fini par se faire poisser par la police, en compagnie d’un Roumain qui a été renvoyé direct dans son pays. Pour lui, le juge s’est contenté d’une peine de prison, à Fresnes, où il s’est retrouvé encellulé avec Medhi, un vrai caïd celui-là. Un habitué de la cambriole à main armée, pas vraiment une petite frappe. François lui a tout de suite offert ses services, espérant l’intéresser à son gros coup, le plan qu’il mitonne depuis longtemps. Un coup de génie qui doit lui permettre de rafler le pactole à sa sortie de prison. Mais, qui se soucie d’un cave comme François ? Qui peut attacher de l’importance à ses divagations ? Ils vont peut-être tous le regretter ceux qui refusent de lui manger dans la main.



« Un loup dans la jungle, voilà ce que je suis. Un inadapté, un
solitaire avec la rage au ventre parce qu’on m’a toujours méprisé. Une
gueule un peu en biais, c’est vrai, une carcasse d’oiseau de proie
qu’a rien croûté depuis six mois, et alors ?



Long monologue composé dans un phrasé oral familier et imagé, Des coccinelles dans des noyaux de cerise est le premier roman de Nan Aurousseau que je lis. Sans doute pas le dernier. Ancien délinquant passé à l’écriture, après un intermède en plomberie, l’auteur a flirté ensuite avec le roman populaire de critique sociale et le récit criminel. Il opte ici pour le roman noir, adoptant le point de vue d’un petit délinquant dont on découvre progressivement la personnalité réelle. Dans la tradition classique du narrateur non fiable, cherchant jusqu’au bout à justifier ses actes, les amateurs de Peter Loughran apprécieront, François confesse en effet son parcours criminel, dévoilant une noirceur asphyxiante. Derrière l’apparente banalité du délinquant sans envergure, vivant de petites combines et de gros coups fumeux, se cache un prédateur impitoyable qui ferait passer Michel Fourniret et Francis Heaulme pour des enfants de cœur. En se mettant dans la peau de François, Nan Aurousseau dresse ainsi le portrait effroyable d’un tueur en série dépourvu de toute empathie. Un sociopathe à la médiocrité feinte, qui décrit avec légèreté et cocasserie ses méfaits au cours d’un monologue révélant toute la monstruosité de son raisonnement. Car François n’est pas dépourvu de logique et de sens pratique. Bien au contraire, en dépit des élucubrations qui nourrissent sa confession, il défend une philosophie de vie très claire, résultant de l’auscultation d’une société pour laquelle il ne nourrit aucune illusion. On ne peut qu’adhérer à sa vision des choses lorsqu’il dénonce le traitement des détenus par l’État, quand il décrit les cohabitations douloureuses imposées par la violences et la misère carcérale ou lorsqu’il déplore les ravages de la télé-réalité. On sourit de ses réflexions vachardes sur ses proches et la gendarmerie. Mais, le bonhomme reste un monstre, en dépit de toute la sympathie qu’il peut accumuler. Un sale type qu’il ne vaudrait mieux pas croiser au coin d’une rue ou agacer par des remarques malvenues. Faut pas lui chercher des noises.


Derrière un titre curieux, Des coccinelles dans des noyaux de cerise vous cueille sans coup férir par son final insoutenable, mais aussi par la violence sous-jacente dont on sent qu’elle n’a rien d’artificiel. En 150 pages narrées à hauteur d’homme, Nan Aurousseau vous fait toucher du doigt l’esprit cynique d’un tueur situé au-delà de tout sentiment humain.


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leleul
8
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le 18 juin 2020

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