Des mots, ceux de lycéens et de détenus. Des murs, ceux d’un lycée et d’un centre de détention. Voilà quel a été le projet un peu fou, gonflé et ambitieux du professeur de Français d’une classe de première économique et sociale : faire correspondre, dans le cadre d’un cycle sur la prison et la justice, des détenus avec des lycéens. Le résultat de cet exercice épistolaire est compilé dans ce livre qui retrace, sans aucune correction préalable, les échanges qui ont eu lieu.

Sur la forme c’est frappant, la maîtrise de la langue, de la forme et des codes de l’exercice sont réels de part et d’autre et on sent une étonnante maturité chez cette jeunesse qui aurait pu se défiler devant un projet aussi lourd d’enjeux. De la part des détenus la surprise est toute autre, ils se livrent pour la plupart avec une franchise que même le professeur n’avait pas dû envisager. Que penser de ce prisonnier qui fait état, dès sa première lettre, des actes pédophiles qui lui ont valu de finir derrière les barreaux ?

Là est tout le mérite de la démarche, ne pas faire de discrimination sur le profil des détenus choisis pour correspondre, discrimination qui aurait amené à édulcorer l’univers carcéral, car tous les aspects de cet univers sont là décrits. Alors le constat se fait peu à peu, au fil des pages : la diversité des détenus reflète bel et bien la diversité de notre société. Qu’il s’agisse des caractéristiques socioprofessionnelles ou psychologiques, tout ce qui fait la société du dehors est parfaitement reproduit en dedans.

Le contenu des lettres est teinté d’une curiosité et d’intérêt qu’on sent réels de la part des lycéens, ils semblent comprendre toute la portée, toute l’importance du projet auquel ils participent. Par les questions qu’ils posent, ils donnent l’opportunité aux prisonniers d’exister et de donner leur version des faits. Cette version est la plupart du temps sans concession, jusqu’à un constat brutal que même les médias ne reflètent pas. La prison ne serait pas une solution dans la conception que nous en avons. Organisée comme elle l’est, elle ne serait qu’un outil de vengeance de la société sur les coupables, et ne mènerait qu’à l’inéluctable récidive. Pire, dans son organisation actuelle, elle ne serait qu’une école du crime qui mélangerait sans vergogne les pires criminels avec les petites frappes. Elle générerait la délinquance au lieu de l’annihiler.

Ce livre, création pure de quelques lycéens et d’autant de détenus, vaut finalement autant que beaucoup d’analyses faites par des sociologues à grands coups de titres accrocheurs. Ici, on nous épargne les questions orientées, le cynisme, la mauvaise foi, on n’a que de grands enfants pas tout à fait adultes qui, avec ce qu’il leur reste d’innocence, pensent encore qu’à travers cet exercice, l’école de la République peut remplir cette mission de faire d’eux des citoyens.
Jambalaya
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le 9 sept. 2013

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