C'est rare mais ça existe : c'est un chef d'oeuvre. Tout est réussi dans ce livre. Finalement, on apprend grâce à John Steinbeck que les meilleures pièces de théâtre sont les romans. Chaque chapitre est une sorte d'acte qui se déroule dans un lieu précis et où les personnages interagissent par des dialogues agréables. Les descriptions font l'effet de didascalies ou de mise en place des décors. Le style est fluide, beau et simple. A partir de ce fondement plaisant, les personnages s'épanouissent comme des bourgeons qui fleurissent sans zèle, sans psychologisme gonflant (que la littérature française a un peu tendance à accentuer parfois) et sans les actions infinis des page-turners. George et Lennie voyagent ensemble, on ne sait deviner s'ils sont amis, familiers ou des compagnons de voyage, quoiqu'il en soit, c'est un lien d'amour et de responsabilité qui unit ses deux personnages dont l'un est petit, nerveux et sec et l'autre gros, large et handicapé mental.


En fait, George aime Lennie. Il ne lui veut aucun mal, et lui raconte ces histoires d'un avenir insaisissable et un peu mensonger. Il lui parle de ces lapins que Lennie n'arrêtera jamais de citer tout au long du roman et de cette ferme qu'ils auront ensemble, ce carré de luzerne, ... Ils débarquent dans un ranch où travaillent les personnages secondaires, tous intéressants et ayant chacun une profondeur : Curley, sa femme, Candy, Mill, etc ... Très vite, le drame se déroulera inexorablement et chaque parole, chaque "réplique", pouvant paraître un peu foutraque dans l'absolu, forment les notes d'un requiem parfait. Les thèmes de la misère sociale, de la condition féminine, "noire", de la tyrannie des grands patrons sur les petits ouvriers, de la vie de ces mêmes petits ouvriers (bordels, lupanars, bars) et finalement de l'humanité profonde que Mill et George partagent en secret.


On ne s'ennuie jamais en lisant ce livre. Il se savoure comme un petit vin sucré et musqué. Chapitre par chapitre, nuit par nuit, le lire d'une traite serait un gâchis formidable : il ne se lit pas, il s'ausculte, il se vit, et chaque mot doit être soupesé comme on soupèse un petit diamant. Sans que l'on décrive leurs travers intérieurs, c'est les actes et les paroles des hommes qui nous permettent de vraiment les voir, les sentir et les toucher. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils sont touchants, parce que leurs actes nous paraissent sympathiques, et que leurs paroles, bien que plaisantes, se marient très peu souvent à leur conduite éthique et humaine. Plus efficace qu'un essai de Marx ou un roman de Zola, Des Souris et des hommes est un appel désespéré à une justice plus grande et à une humanité plus intense dans ce monde de rats.

PaulStaes
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs livres de l'univers. et Livres lus

Créée

le 29 juin 2017

Critique lue 333 fois

Paul Staes

Écrit par

Critique lue 333 fois

D'autres avis sur Des souris et des hommes

Des souris et des hommes
Kalimera
8

Critique de Des souris et des hommes par Kalimera

-George ! -Qu'est que tu veux ? -C'est quoi une kitique ? -Une cri-ti-que, bougre d'idiot, une critique ! -Oui, une kitique...c'est doux ? je peux toucher ? -Mais quel bougre d'imbécile, ça se touche...

le 19 mai 2013

83 j'aime

4

Des souris et des hommes
Kowalski
10

La simplicité n'est pas l'ennemie du beau

"Of mice and men" ou comment écrire un chef d'oeuvre avec une histoire on ne peut plus simple, des mots et phrases simples, le tout en 160 pages environ. Comme quoi la grande littérature n'est pas...

le 4 nov. 2012

79 j'aime

7

Des souris et des hommes
BibliOrnitho
10

Critique de Des souris et des hommes par BibliOrnitho

Lennie Small, un colosse à la force herculéenne et dont l’âge mental est à peu près celui d’un enfant de cinq ans, marche deux pas derrière son ami, George Milton. Ils sont journaliers et se rendent...

le 22 nov. 2013

32 j'aime

5

Du même critique

La Tresse
PaulStaes
3

Niaiseries, caricatures et banalités.

Laetitia Colombiani a écrit un livre de magasines féminins bas de gamme, qui ferait presque rougir Amélie Nothomb ou Marc Lévy par sa médiocrité. Pourtant, l'envie était très forte : une publicité...

le 2 juil. 2017

23 j'aime

10

Orgueil et Préjugés
PaulStaes
5

Les aventures niaises et mièvres des petites aristocrates anglaises

Âpre lecteur de classiques en tout genre, admirateur absolu de tous les stylistes et grands romanciers des temps perdus, je m'attaquai à Orgueil et Préjugés avec l'espérance d'un nouveau coup de...

le 21 sept. 2022

17 j'aime

10