En 1954, l'Apocalypse est à Dien Bien Phu

Ouvrage absolument remarquable qui traite de manière exhaustive la bataille mythique de Dien Bien Phu. Tout y est, la phase de préparation intellectuelle et logistique pour la mise en place de la base avancée afin de protéger le Laos (le plus fiable des trois états associés incluant également le Vietnam et le Cambodge) sur le site de Dien Bien Phu, qui permettait d’accueillir une piste d’aviation ce qui implique de facto de se situer dans une plaine (le fameux « fallait être con pour rester dans une cuvette » est une remarque digne de la 7e compagnie mais c’est évidemment plus compliqué que ça). Est également évoqué l’état d’indépendance de fait de ces trois états en 1953, nous ne sommes plus dans une guerre coloniale mais bien dans une guerre contre le communisme ; l’implication de la plupart des minorités du Nord Vietnam dans le camp français face aux communistes (Hmongs, Thaïs etc.) tout comme l’implication des paras vietnamiens dans la défense du camp retranché (les armées des gouvernement vietnamiens, cambodgiens et laotiens se battaient aux côté des Français et si le livre explique que les relations étaient compliquées, ils étaient en tout cas heureux que la France soient en première ligne face à l’insurrection communiste). Si le coeur de la bataille de mars à mai retient l’attention, il faut savoir que la prise du site impliqua dès novembre 1953 et le déclenchement de l’opération « Castor » de nombreux combats. A côté de cela les tergiversations du haut commandement incarnées notamment par Navarre et Cogny et le déclenchement de l’opération, considérée par Navarre comme prioritaire, « Atalante », en parallèle de celle menée à Dien Bien Phu et qui grèveront notamment des moyens aériens essentiels seront dramatiques ; comme depuis la fin de la 1ère guerre mondiale, la froideur des politiques en métropole sera la cause de bien des déboires, eux qui ne donneront jamais les moyens de gagner une guerre qui a changé de dimension dès lors qu’elle devenue une guerre contre le communisme où la Chine (république populaire depuis 1949) joue un rôle déterminant ; et que dire de l’hostilité du Parti Communiste Français qui se rappelle aux bonnes heures de 39-40 lorsqu’il était un ennemi de l’intérieur. Enfin le rôle des Américains fut comme souvent ambiguë entre soutien dans la lutte contre le communisme et volonté de prendre la place d’une France que l’on ne rechigne jamais à affaiblir… De l’autre côté on a la machine de guerre de Giap qui avec son armée de partisans endoctrinés mais aussi extrêmement courageux et équipés par la Chine concentrera tous ses efforts et ses moyens pour prendre l’ascendant sur les Français à Dien Bien phu et rendra vite prévisible l’issue de la bataille pour bon nombre d’acteurs et d’observateurs, et ce avant même le déclenchement de l’offensive principale du 13 mars 1954 ; d’autant qu’à l’inverse côté français si la qualité des régiements engagés est avérée, on pêchera par la sous-estimation de la capacité du vietminh à acheminer les pièces d'artillerie chinoise (un apport massif de pièces fut rendu possible suite à la fin de la guerre de Corée) sans que l'on puisse les détruire mêlé à un excès de confiance du commandant de l'artillerie française persuadé de pouvoir neutraliser cette artillerie ennemie auxquels s’ajouta un manque de bombardiers pour vitrifier les collines alentours et un refus des américains d'engager les leurs. Sur le plan tactique il n’y eut pas suffisamment d'opérations sur les arrières ennemis avec des paras utilisés dans le camp comme des fantassins classiques et ce notamment en raison de la dispersion des moyens français sur le territoire (Avec on l’a dit l’opération « Atalante » entre autres) tandis que Giap concentrait une force considérable qui surpassait largement celle des défenseurs.

Au final cette bataille auraient pu voire du durer beaucoup moins longtemps tant le rapport de force fut défavorable, le renseignement français très performant lors de cette opération puis le haut commandement ont vite compris que la situation était intenable face à un ennemi supérieur, les réponses apportées n'ont malheureusement pas été à la hauteur. Ceux qui l'ont été ce sont les combattants qui ont été remarquables, mais aussi les commandants/colonels comme Bigeard qui étaient des meneurs d'hommes extraordinaires. On pourra citer ces contre attaques françaises désespérée pour rependre des points d’appuis perdus avec des combats allant jusqu’au corps à corps, ces hommes qui se bousculaient aux portes des avions pour sauter sur Dien Bien Phu « pour l’honneur et les copains » alors que les pistes d’aviations étaient détruites et que c’était un aller sans retour… Certains n’avaient jamais sauté en parachute, certains étaient même non combattants (cuistots par exemple). Citons aussi ces tirailleurs africains qui se battirent avec un acharnement incroyable, Français par le sang versé et bien plus Français que les communistes de métropole qui molestaient les soldats blessés débarqués en France ou pire pour une poignée d’entre eux se rendaient sur place et servaient aux interrogatoires dans les camps de concentration, quant aux quelques-uns qui se battaient dans le camp vietminh, ils avaient au moins le courage de leurs convictions. Comment ne pas citer cette femme, seule française du camp et qui appartenait au service médical, surnommée l’ange de Dien Bien Phu. Que dire aussi de ces huit prostituées vietnamiennes qui, dès lors que le bordel militaire de campagne fut fermé du fait du déclenchement de la bataille, servirent comme infirmières et, courage suprême dans les dernières heures de combats, prirent même les armes pour défendre une parcelle d’un camp déjà vaincu… Elles finiront froidement exécutées et dans une fosse commune, car les prisonniers vietnamiens subissaient un sort terrible. Celui des prisonniers français était à peine plus enviable, le taux de mortalité des camps de concentration vietminhs étant supérieur à 70 % et deux fois supérieur à celui des camps de concentration nazi (à différencier des camps d’extermination). Les pertes enfin sont effroyables, dans le camp français plus de 2000 tués, des milliers de blessés et de prisonniers car lorsque le camp cessa le combat le 7 mai 1954 il n’y avait plus de munitions et presque tous les hommes encore en état de se battre étaient blessés. En face les pertes précises sont inconnues et fortement minorées par la communication officielle du Vietnam, mais la plupart des historiens considèrent aujourd’hui que le vietminh perdit entre 20 et 25 000 hommes.

Dien Bien Phu ce fut donc tout cela et bien d’autre choses encore et cet ouvrage essentiel de plus de sept cent pages est sans doute La référence sur cette bataille dantesque qui vit le pire et le meilleur de l’humanité. Vous aurez compris que je le recommande vivement, c’est juste passionnant.

LoGgn
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le 27 oct. 2023

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