Le père (Tim, 1947-1975) et le fils (Jeff, 1966-1997) ayant beau ne s'être rencontrés qu'une poignée de fois, une biographie en parallèle était assez logique, vu leurs ressemblances: beauté angélique, voix aux capacités hallucinantes, instabilité, volonté de se renouveler, mort aussi stupide que prématurée.
David Browne passe du père au fils, puis du fils au père d'un chapitre à l'autre, ce qui se comprend mais est tout de même d'une gymnastique peu évidente, jusqu'à une fin communément tragique. Pour cet ouvrage paru quatre ans seulement après la mort de Jeff Buckley, l'auteur a recueilli quantité de témoignages, dont il note qu'ils sont parfois contradictoires, pour tenter de cerner ces deux météores qui aimaient ne pas être là où on les attendait. Il trace aussi en filigrane le portrait de deux époques bien différentes musicalement, mais aussi socialement: les années 60-70 pour Tim, qui publie un premier disque folk-rock sans titre alors qu'il n'a que 19 ans, les années 80-90 pour Jeff, qui débutera dans la fusion et se cherchera beaucoup avant de publier enfin son 1er album, le bien-nommé "Grace", l'année de ses 28 ans. C'est sans doute à ce dernier, qu'il a interviewé, que va la préférence de David Browne, montrant en revanche un Tim Buckley parfois peu sympathique, peu fiable, naviguant à vue, abandonnant la mère de Jeff avant même la naissance de celui-ci, mais adoptant plus tard le fils de sa compagne et renouant avec Jeff.
Une certaine frustration, une certaine amertume apparaissent aussi dans ce récit, et pas seulement en songeant à ce que ces deux-là auraient pu encore vivre et enregistrer, ou en se disant qu'ils auraient pu mieux se connaître. A la fin de sa carrière, après des albums difficiles et à la limite de l'expérimental comme "Starsailor", Tim Buckley tente de se renflouer en revenant à une musique plus accessible avec "Greeting from L.A." ou "Sefronia", mais le succès n'est pas pour autant au rendez-vous: ce sont les concerts et non les ventes d'albums qui lui permettent de vivre. Quant à Jeff Buckley, perfectionniste, jamais pleinement satisfait, il gamberge beaucoup et revoit tant et si bien son ouvrage qu'il n'aura même pas le temps d'achever son 2ème album, "Sketches for my sweetheart the drunk". Une histoire, ou plutôt deux histoires assez tristes en définitive, mais qui nous font quand même mieux connaître deux musiciens qui poursuivirent, têtus, leurs chemins personnels malgré une certaine confidentialité. Et il nous reste quand même quelques disques.