Drood
6.5
Drood

livre de Dan Simmons ()

Voici un roman qui ne m'a pas laissé indifférent, à presque tous les niveaux, me faisant passer du ciel aux enfers, en matière de plaisir de lecture.
Mais d'abord un bref mot sur l'écrivain, Dan SIMMONS.
Auteur protéiforme, capable de verser dans l'horreur, le policier, la S-F, traduit dans plus de 27 pays, Simmons est surtout connu des amateurs de S-F pour sa saga de Space-Opéra Les Chants d'Hypérion.
Ici c'est à un roman aux forts accents historique et fantastique que nous invite SIMMONS.

Pourquoi roman historique, parce que l'action de notre roman se situe en plein siècle victorien, époque de l'apogée de l'Empire britannique, et ce dans tous les domaines : militaire, colonial, maritime, économique, scientifique et littéraire.
Plus précisément l'histoire se déroule entre les années 1865 et 1870, années importantes pour les deux principaux intervenants du roman, deux personnages célèbres : Wilkie Collins, et un illustre parmi les illustres puisqu'il s'agit ni plus ni moins de Charles Dickens.
Un choix plutôt judicieux de la part de l'auteur puisque, du fait de leur existence avérée, ils donnent une sorte de caution réaliste à la fiction qu'il écrit.
Ces deux grands auteurs de leur époque, amis, contributeurs et amateurs de cercles et clubs littéraires, auteurs d'essais, de pièces de théâtres (acteurs parfois); bref ces deux parfaits Gentlemen de la bourgeoisie cultivée victorienne, vont être confrontés au troisième larron de ce roman, l'énigmatique, l'insaisissable, et méphitique Drood (Pour l'anecdote Drood est le nom du dernier roman, non achevé de Dickens : Le Mystère d'Edwind Drood )
Ce dernier est l'élément déclencheur de tout le fantastique de l'œuvre, celui qui fait basculer nos deux célèbres auteurs dans des abimes de perplexités, de questionnements et d'horreur.
En juin 1865 Dickens, qui se déplaçait souvent en train pour donner des représentations théâtrales de ses propres pièces, a un accident de train. Il fit réellement partie des rares survivants de cette catastrophe qui emporta la quasi-totalité des wagons de première classe dans lesquels il voyageait avec sa suite.
Sur le lieu de l'accident il rencontre un homme à l'allure particulière : Drood, sorte de Nosferatu sans nez, aux dents limées en pointes, aux yeux sans paupières..
Voici un portrait peu amène d'une « créature » qui deviendra l'arlésienne de l'histoire, toujours insaisissable, aux desseins obscurs et ésotériques. Les deux personnages sont dès lors liés dans une relation d'interdépendance et de réciprocité qui ne s'expliquera complètement que dans les derniers chapitres de ce long livre.
L'histoire en elle-même est racontée par Williams Wilkie Collins. Auteur populaire de son époque, ayant eu, comme beaucoup de ses contemporains, une très forte dépendance au laudanum puis à la morphine afin de gérer les douleurs de sa goutte rhumatismale. Il en résulta une paranoïa qui lui donnait l'impression d'être observé, suivi, puis même de converser avec son double fantomatique, un Doppleganger, l'Autre Wilkie. Élément qui aura une importance cruciale dans l'histoire, ses rapports avec Dickens et Drood.
Collins est donc le narrateur de l'histoire, il s'adresse au lecteur, le prenant parfois à témoin, comme si il tenait dans ces mains une sorte de manuscrit sorti des ombres et du temps, offrant de nous livrer enfin ce qui serait vraiment arrivé a Charles Dickens, sur ces cinq dernières années de vie fatidique, quel rôle lui-même joua dans cette tragédie, et quelles furent leur relations complexes.

Les quelques 900 pages de l'ouvrage sont une véritable montagne d'informations sur l'époque Victorienne. C'est la première grande force de cet ouvrage, réussir à reconstituer avec véracité cette époque.
Rien n'est oublié, de la façon de vivre et de penser des classes aisées (ces fameux gentlemen à l'anglaise, véritable statut social), leur lieux de rencontres et de villégiature, les demeures où ils vivaient. Mais aussi à l'autre bout de l'échelle sociale, la misère extrême des grandes villes, les conditions de vie épouvantables, les atroces nuisances sanitaires qu'entrainaient la concentration d'autant d'êtres humains et d'animaux dans des lieux exigus sans plan de gestion des déchets.
C'est une période de l'Histoire qui est passé au tamis de la plume de Simmons, il a d'ailleurs dû faire là un long et fastidieux travail de recherche pour nous donner une image si vivante et réaliste.
L'autre Grande force de ce livre c'est cette capacité à préserver presque jusqu'à la fin ce seuil qui existe entre ces deux mondes que sont celui de la réalité et celui de la fiction, distillant par l'entremise du récit de Collins des bribes d'éléments fantastiques au milieu d'une foule de détails crédibles (et pour partie surement vrais) des vies de tous les personnages réels impliqués dans ce récit.

Mais, car il y a un mais, la lecture de ce livre n'est pas toujours aussi aisée et fluide que mes propos le laissent à penser.
SIMMONS opère une telle surabondance de digressions dans l'évolution du récit principal, qu'il en perd le lecteur. Si l'anecdote a l'avantage de fixer les histoires, les caractères, les vécus des personnages dans la mémoire du lecteur, son usage excessif ne fait que l'éloigner de l'intelligibilité du récit. Si Dickens et Collins sont formidablement tangibles, la cascade de descriptions interminables des aléas de leur quotidien fini tout simplement par être soporifique et ennuyer. Des pages, et des chapitres entiers sont ainsi consacrés au futile et à l'inutile, au superflu et l'improductif, ce qui a profondément contribué à plomber ma lecture.

Drood, je le disais dès le début ne vous laissera pas indifférent, soit vous embarquerez avec Collins, jusqu'au bout, malgré les cahots de la route, soit vous resterez sur la bas côté dès le premier arrêt. Au final, je suis plutôt heureux d'avoir été au bout de ce massif de pages, parce que l'idée de base du livre, celle de confronter deux personnages historiques à une réécriture par l'entremise du fantastique d'un évènement de leur vie, possède quelque chose de jubilatoire. En revanche j'espère que vous ne subirez pas, comme moi cette avalanche de description, elles seront peut-être moins rébarbatives et inutiles à vos yeux qu'aux miens.
Mais pour la peinture de cette époque, pour le plaisir de suivre Charles Dickens et Wilkie Collins dans leur lente et longue descente aux enfers, pour l'affreux Drood, ce livre vaut vraiment qu'on lui accorde sa chance.
Cosmoclems
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le 2 déc. 2011

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