Dürer
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livre de Collectif ()

Le Chevalier, la Mort et le Diable : Le diable en rit encore

Dürer est un génie, qui nous livre des images fascinantes, ensorcelantes, mais dépourvue de toute explication. À l’observateur de se créer sa propre histoire. Les commentateurs ne s’en sont pas privés et lui ont consacré une glose considérable.


Ritter, Tod und Teufel 1513. Accompagné d’un chien, un chevalier en armes s’avance lentement, sûr de sa force et de son droit. Le diable tend une griffe pour le saisir et tenter de le ralentir. Chevauchant à ses côtés, la Mort lui présente un sablier, le temps lui est compté. Au loin, un château l’attend. Le pays est sec et l’hiver rude, mais le guerrier et sa monture sont bien nourris. L’armure est belle, complète, mais sans ostentation. Le dessin est d’une finesse admirable, les innombrables détails saturent l’espace, la profusion étouffe les âmes inquiètes.


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Le Moyen-Age est une société ordonnée. Le religieux prie. Le chevalier combat le mal sous toutes ses formes, du moins en théorie. Le paysan nourrit les deux premiers. Le monde est ainsi fait, depuis la nuit des temps. Nul n’imagine qu’il puisse en être autrement.
• Protégé par la règle, le moine vit retiré dans un monastère. Les moines de chœur, nobles, étudient, chantent et dirigent. Les frères convers ou lais, paysans, assurent les travaux manuels. Tous prient et sont engagés par les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance. Ils ont défriché les terres en jachères, bâti des villages, évangélisé des provinces. Les meilleurs ont été tirés de leurs abbayes pour être sacrés évêques, cardinaux ou papes. Les prêtres, misérables et peu lettrés, soufrent de la comparaison.
• Le paysan cultive la terre. Il répartit son temps entre le domaine seigneurial et son lopin. Il doit à son maître une part de sa récolte et des corvées. La vie est dure, les rendements faibles, la soudure difficile et la disette probable. Le Moyen-Âge ignore les bourgeois. Le commerçant Jacques Cœur accumula la plus fabuleuse fortune du temps et se créa quelques ennemis. Il sera anobli, mais contraint à fuir en Italie. L’émergence d’une nouvelle voie vers la puissance et la gloire, une route qui n’emprunte pas le chemin des armes, a de quoi inquiéter les féodaux. Ils ont, provisoirement, vaincu.
• Il n’existe d’autres alternatives pour un jeune noble que celles des armes ou de la prière. Le chevalier est un guerrier. Il combat pour le roi, son suzerain ou son propre compte. Il chasse, joute, s’entraine. Il boit, chante, festoie. Il rend une justice expéditive, administre, conseille. Il possède tous les dons. Tout au plus s’appuie-t-il sur un prêtre pour écrire et un régisseur pour gérer ses biens. Contrairement au moine rivé à son cloitre et au paysan attaché à sa tenure, le chevalier voyage. Malgré son château-fort, ses gardes du corps et ses armures, il meurt fréquemment au combat ou assassiné. Au XIVe et XVe siècles, plus du quart des nobles anglais succombent à une mort violente. Le moindre affront entre orgueilleux voisins dégénère en bataille rangée. Mortalité infantile, fièvres, peste, assassinats, exécutions et guerres déciment leurs rangs. Or, le chevalier a besoin de piétaille, qu’il choisit parmi les plus vigoureux de ses paysans. Le meilleur d’entre eux pourra être adoubé chevalier. Dans la pratique, un chef de bande heureux peut capturer un château, se décréter seigneur du fief, puis prêter allégeance au baron le plus proche.


Revenons au reître de Dürer. Deux écoles s’affrontent. La première y voit l'archétype du chevalier teuton, tel Franz von Sickingen (1481-1523), un homme sans peur et sans reproche, un “Bayard“ protestant et querelleur, défenseur des droits des petits chevaliers révoltés par l’outrecuidance des ducs et des princes.


Les autres le perçoivent comme un “Raubritter“. Un chevalier brigand, un routier, un tueur, qui viole, torture et rançonne. Point de salut pour lui, son âme est damnée, sa conscience totalement obscurcie est exempte de remords ou d’inquiétude. Le diable en rit encore.


Objectivement, la gravure autorise les deux interprétations. Après tout, le guerrier n’est pas un saint et son comportement sera, fréquemment, le fruit des circonstances. À la guerre, comme à la guerre. « Nous n’avons pas seulement des armes, Mais le diable marche avec nous. Ah, ah, ah, ah, ah, ah ! »

SBoisse
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le 21 juin 2017

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Step de Boisse

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