Dès son premier roman, La Maison d'Haleine (1950), Goyen a été un peu mis de côté : "C'est très joli tout ça mais retourne donc écrire des poèmes, va ! sale poète !" qu'on lui dira. Le style trop lyrique ça passe rarement de ce côté-là de l'Atlantique.

Faut dire, en plus, il a lui même toujours refusé de se laisser affilier aux auteurs voisins et au courant de sa génération. On l'a sans surprise souvent comparé avec William Faulkner, sans doute à cause du Sud, sans doute car "House of Breathe" parle d'une famille déchue et un peu dégénérée qui abrite de lourds secrets derrière ses tentures poussiéreuses. Lui aussi s'est d'abord voulu poète, lui aussi fut marqué par un tardif symbolisme européen ; ils partagent une certaine esthétique de la métaphore visuelle. Si Wiliam Goyen nie, certes pas l'importance mais l'influence de cet autre William et s'il n'a pas sa violence ou son ancrage dans un Sud vraiment sudiste, ils ont pour ainsi dire la même couleur, les mêmes reflets. On pourrait aussi le rapprocher de Penn Warren dans ses accents métaphoriques, ses relents romantiques et ces jeux de plis et replis.

"In A farther Country: A Romance" (1955) se fait moins tortueux, moins palimpseste poétique de souvenirs de jeunesse et d'adolescence d'un homme largué en pleine Guerre Mondiale. Il y a surtout du Steinbeck dans celui-là (à commencer par le titre) avec cette douceur de ton, cette simplicité apparente, cette sensibilité sans sensiblerie par petites touches.

On a donc Marietta McGee-Chavéz, touchante couturière texane naïve, doublement déracinée, pleine de rêves en son sein et qui se voit Reine d'Espagne dans son arrière-boutique de New York, on a un ara confondu avec un miteux bip-bip qui se meurt dans un grand magasin loin de son Mexique originel et cette bande surréaliste de bras-cassés, vagabonds, auto-stoppeurs, meurtriers qui pour un soir refondent un pays dans une vieille maison toute cozy et se livrent (à eux-mêmes ?) leurs secrets sous les airs d'une mandoline aux cordes de cheveux.

« So the three of them had a quiet supper while Chalmers Egstrom lay on the divan. After supper they turned the lights down very low, down to only one little lamp, and that in the next room with the door open. Marietta opened the window just a little, and the three of them sat to wait for the mandolin to play. The lights were twinkling on the tretle and twinkling again in the sky. And then it began, the softest little purling of melody that an insect might be playing with the brush of its legs. They listened and liestened and the lights of the lamp in the next room glimmered and the lights on the trestle twinkled.
"It is for something lost," Marietta said about the music. "About something young that something old recalls".
[...] then Marietta rose and danced quietly a long time to the music. »

Car Goyen est un auteur de la maison, de la chambre aux rideaux tirés, du lieu-dit. C'est un diseur des pays intérieurs , un tisseur de rêves. Il l'a dit et redit, pour lui l'endroit, la place, est essentiel. Mais il ne faudrait surtout pas y voir un goût du régionalisme, un auteur du Texas. Non, l'endroit au sens premier du terme, celui qu'on peut arpenter, toucher, décorer, détruire ou rebâtir. Dans son premier roman, Boy retrouvait sa maison d'enfance, son vieux puits, son herbe trop haute, ses fenêtres crasses, dans son propre nuage de buée ou dans des toiles d'araignée. Ici... Spain, la maison de Marietta, petit royaume, est faite des matériaux mêmes des rêves comme poussée de graines éparpillée par les vents et l'on ne sait plus vraiment qui héberge quoi. "We are seasons".

« "Not far from our house was a field. I lay sometimes all day in the grass of the field, thinking how I would like to die on the ground and sink down into the sod like seed and find my peace underground. I was obsessed with this conception of salvation and of peace – to just sink away into the ground, to just burst open, like seed, and be received into the ground. I lay whole golden enchanted afternoons in the field, a husk, a shell that nothing would burst open. I said to myself, as you have not found something to love that will open the husk, then find something to hate, one tender violence or another that will cause a bursting." »
Nushku
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Carnet de curiosités : Lectures 2013

Créée

le 6 déc. 2013

Critique lue 246 fois

19 j'aime

Nushku

Écrit par

Critique lue 246 fois

19

Du même critique

Six pieds sous terre
Nushku
10

You can't take a picture of this. It's already gone.

Avec les Sopranos et The Wire, Six Feet Under appartient à cette triade dorée de la chaîne câblée HBO qui a irrémédiablement métamorphosé le paysage audiovisuel. Les Sopranos ont démontré que dans la...

le 27 juil. 2011

282 j'aime

21

Interstellar
Nushku
5

Inspacetion

Tout en n'étant absolument pas un admirateur de Nolan, bien au contraire, j'attendais avec certaine fébrilité cet Interstellar. Attente teintée d'espoir et de craintes. Ha.... l'espoir frileux et...

le 5 nov. 2014

217 j'aime

36

Memories of Murder
Nushku
9

Thriller aigre-doux

Memories of Murder n'est pas monolithique. Il est certes en premier lieu un polar captivant au rythme parfaitement construit sur la traque d'un serial-killer mais il est aussi fait d'antagonismes...

le 4 mars 2011

213 j'aime

6