Un des romans de ce début d'année 2013 les plus commentés, à raison, bien qu'essentiellement à propos du parallèle entre l'irruption soudaine de la machine de Gutenberg en plein XVe siècle et l'émergence du livre numérique, pourtant loin d'être le noyau dur du livre.

Car l'Esquisse du pendu, elle, se déroule dans le dernier quart du XIVe siècle, sous le règne de Charles V, à cette époque la copie des Codex bat encore son plein et l'ouvrage s'ouvre sur une toute autre "machine", tout aussi meurtrière, détaillée sous toutes les coutures, le gibet de Monfaucon. Puis, l'on plonge dans l'atelier du copiste laïque Raoulet d'Orléans, situé en plein cœur de Paris, et l'on y découvre tous les secrets de la copie, sans fort heureusement céder aux stridentes sirènes des poncifs du genre 'roman historique' même si, tout de même, sur la fin vient se greffer un semblant de suspense. Tout au contraire, l'ouvrage est bien plus proche de l'essai historique, de l'exercice littéraire enrobé de narration.

Champs lexical touffu, accolant à la précision du jargon technique la musique de l'argot médiéval avec de-ci de-là l'inclusion d'appartés purement ludiques faisant penser, de loin, à Eric Chevillard [qui dans le Monde des Livres en conseille la lecture] et d'étonnants anachronismes pour mâtiner le tout d'humour pince-sans-rire, comparant par exemple les innombrables apostilles d'un manuscrit de la "Politique" d'Aristote aux agaçantes pop-ups du Web. Manuscrit que Raoulet déteste pour cette saturation de glose apposée par Nicolas Oresme, lui préférant la chronologie régulière, bien ordonnée, tirée au cordeau et rassurante, talonnant le présent, des "Grandes Chroniques de France".

Rêche, à tout le moins exigeant, généreux pourtant dans son aridité, comme le travail de Raoulet lui-même qui passe plusieurs années sur un même codex — car nous ne suivons pas un atelier d'enluminure et ses jolies fioritures festonnées rouges et bleues et dorées qui ne sont encore, à l'étape de Raoulet, que fenêtres aveugles. Ce style lorgne clairement et avant-tout du côté des noms connus et princiers de Verdier, leur partageant le poli attentionné de l'écriture et l'œil dans un rétroviseur braqué sur un passé plus ou moins éloigné de nous.
Néanmoins, cela manque parfois de fluidité, si ce n'est de maîtrise. En effet, là où le riche panel lexical devrait s'intégrer, et y parvient le plus souvent, dans la trame du récit comme du fil d'or ou d'argent, venant en rehausser sa richesse, sa beauté, sa musicalité sans qu'il ne porte trop atteinte à la fluidité ou à l'agacement de lecture, quitte à y revenir une fois le paragraphe fini pour bien palper toute la minutie miniaturiste de ces fils, les mots ou les tournures se hérissent un peu trop régulièrement sur le canevas. Mais ce ne sont, au final, que quelques anicroches face au plaisir réel que sont cette langue chantournée et cette ambiance esquissée.



[à propos du changement du titre "Roman des rois" en "grandes chroniques"] « Et ce glissement de titre induisait autre chose : le bienheureux singulier de « roman » s’effaçait devant le pluriel irrattrapable de « chroniques » comme si désormais, il était entendu d’écrire toujours les musiques royales au plus près de l’époque, non plus rebâtir une mémoire abolie mais d’arracher sans cesse le continuum du présent, de narrer l’immédiat, produire la gestation de l’histoire du « jourd’hui », chroniquer maladivement, notifier le fait actuel, sans cesse et sans fin, jusqu’à ne plus pouvoir se dépêtrer d’une manie de récit en direct. »
Nushku
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le 29 mars 2013

Modifiée

le 30 mars 2013

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Nushku

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