Alors, disons-le tout de suite : contrairement à ce que sous-entend la quatrième de couverture ("Au mieux, c'est un excellent livre. Dans le pire des cas, ils ont fait un chef-d'œuvre), cet Objet Littéraire Non Identifié n'est en vérité ni l'un ni l'autre, soyons tout à fait honnêtes.


C'est un mignon petit livre touchant et joli comme tout, mais en rien révolutionnaire artistiquement ou littérairement parlant. Antoine Laurain pour les textes, Le Sonneur pour les dessins à l'encre rouge et noire : un gentil duo qui consacre ses talents respectifs à dire les états d'âme d'un cœur blessé par une rupture amoureuse. Les dessins du Sonneur - presque des épures - paraissent parfois assez sibyllins, mais sont invariablement poétiques et donnent une dimension intéressante à cet ouvrage. La plume d'Antoine Laurain, si elle accouche parfois de trouvailles fort sympathiques, pèche un peu par sa trop grande simplicité. Les situations décrites peuvent faire penser à un film d'auteur très français ("Aujourd'hui, une femme m'a souri dans la rue", "J'ai laissé le stylo Cross dans le magazine") qui enchaînerait avec un peu trop d'aisance les perles banales ou simplistes.


Le narrateur est un homme que sa compagne vient de quitter et qui erre comme une âme en peine dans un monde qu'il ne reconnaît plus et au sein duquel il ne trouve plus sa place. Il sourd de ces pages nostalgiques une mélancolie à la Delerm (Vincent) ou à la Alex Beaupain, émouvante mais assez convenue, disons-le. Antoine Laurain joue également sur la forme en déstructurant la phrase, en l'écrivant par instants sens dessus dessous - à l'image de sa vie. La disposition de cette prose poétique m'a fait évidemment penser aux illustres prédécesseurs dont l'écrivain doit certainement se réclamer : les inoubliables Calligrammes d'Apollinaire ou "Les ardoises du toit'" de Reverdy, pour ne citer qu'eux.


Dans ce journal de bord post-rupture, Antoine Laurain m'a également évoqué Jean-Michel Espitallier et sa poignante "première année" sans sa femme, et comme l'écriture permet de récréer de l'ordre et de l'harmonie après la perte de l'être aimé. Ici, Antoine Laurain tente de remonter la pente, de faire son inventaire sentimental avant liquidation, via de petits fragments d'un quotidien en perte de sens. Certains passages m'ont fait songer à de petits haïkus - mais n'est pas Guillevic qui veut, hélas.


J'ai aimé ce qu'il écrit sur le changement de montre qui symboliserait l'entrée dans une nouvelle ère, une phase neuve de sa vie (sans elle) :



En achetant une nouvelle montre, je m'achèterai un nouveau temps. Une nouvelle vie. (...) Le cœur de ma montre a trop battu pour toi et j'ai envie d'un nouveau cœur (...) Toi tu seras loin dans un autre fuseau horaire. Un fuseau qui ne concernera que mon ancienne montre - au fond d'un tiroir sombre.



Antoine Laurain livre également des anecdotes lues, des petites perles de savoir fort intéressantes et bien que le procédé soit facile, ces intermèdes apportent au récit une touche de savoir qui n'est pas mal venue. J'ai particulièrement aimé les passages qu'il consacre à ses "recherches sur les hommes fous amoureux de femmes entraperçues" (tout un programme !) et notamment à l'auteur du Grand Meaulnes, Alain Fournier. J'ai été touchée par son inquiétude sur l'évolution explosive du Soleil également et sur cette mystérieuse plaque "Mon Amour", prélude de sa rencontre avec Le Sonneur.


"Et mon cœur se serra" (titre ravissant qui m'a fait penser au Petit Chaperon Rouge et son fameux "Et la chevillette cherra") est un adorable ouvrage qui, malgré des côtés un peu niais, un peu gnangnan, n'en est pas moins un émouvant petit objet créatif qui séduira et inspirera les cœurs sensibles et les âmes en peine.

BrunePlatine
6
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le 8 sept. 2021

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