Cette pièce de 1943 se concentre autour d'une famille mononucléaire composée de Georges, Marie et Gillou. S'il n'y a peu d'action, les dialogues dépeignent un drame psychologique des plus intéressants. Le premier jet fut d'abord un roman maintenant détruit dont Montherlant a partagé un certain nombre de notes.


Le père, Georges, est un personnage ambigu et difficile à saisir. Montherlant, comme à son habitude, nous livre ici un être humain dans toute sa contradiction. Il partage de nombreux traits avec le roi Ferrante de La Reine morte. Il a abandonné Marie et Gillou pendant douze ans avant de les retrouver et de vivre avec eux dans le sud de la France, alors zone libre. Ayant une très haute estime de lui-même, il n'est pas surprenant qu'il trouve que son fils manque de qualité et qu'il ne lui ressemble en rien. Le décalage est double. Le portrait qu'il a de lui-même est surévalué, lui pour qui tout ce qu'un auteur classique écrit est admirable et requiert une adhésion absolue et, par conséquent, celui de son fils sous-évalué par ses propres standards car rien n'indique un fils niais et mou comme il le décrit. Nietzschéen, il souhaiterait que son fils de 14 ans soit un surhomme, la relève de toute la patrie française à lui seul. Il est pris entre l'affection qu'il lui porte et une certaine morale qui est la sienne. Que ses intentions soient bonnes, on le conçoit puisque indéniablement il aime son fils. Sa morale cependant est questionnable. Ne voulant pas être un père comme les autres, il réussit certainement car il n'arbore aucune complaisance. Le discours qu'il tient à son fils est brut et brutale :



Je t'ai abandonné une première fois à ta naissance, par égoïsme. Je t'abandonnerai une seconde, par désespoir de toi.



Comme Ferrante, il va abandonner son fils à son sort, peut-être même à sa mort puisqu'il le laisse retourner en zone occupée où les bombardements sont possibles. Il a pourtant la possibilité d'agir autrement mais il est au delà et ne fait que constater si ce n'est sa lâcheté, sa propre fatalité.


Marie représente la mère aimante typique, du moins en apparence. Elle se range du côté de son fils et le défend face aux critiques acerbes du père même si par manque de caractère elle se laisse facilement influencer. Son amour tendre contraste avec celui de Georges mais n'en est pas moins pernicieux puisqu'elle n'a aucun scrupule à risquer la vie de son fils pour un dénommé Roger avec qui elle échange des lettres.


Gillou, le fils, est le personnage le plus effacé et se trouve bien malgré lui dans une position inconfortable puisque ses parents se jalousent férocement son amour. Il est à bien des égards le plus raisonnable et tempéré des trois, peut-être est-ce cela la mollesse que son père lui reproche. Il est très apprécié par son entourage et doté d'une profonde gentillesse. Il a d'excellentes notes à l'école dans toutes les matières. Il est constamment acculé à devoir choisir entre sa mère et son père, comme s'il ne pouvait aimer les deux et sa neutralité, qui se comprend aisément, n'est pas bien reçu, particulièrement par son père qui voudrait un fils dévot. Aurait-il pu agir différemment ? Révéler à son père ce qu'il savait au bon moment ? Certainement. Son destin n'en aurait pas nécessairement été changé pour autant. Il est difficile de ne pas s'attendrir pour ce jeune personnage sur lequel repose tant d'espérances et qui ne peut alors que décevoir.


Fils de personne est une œuvre remarquable qui reprend et condense les thèmes que l'on retrouve dans La Reine morte. Sans artifices, la volontaire sobriété de cette pièce n'en cache pas moins une réelle profondeur. Georges est en effet un virtuose de l'irrégularité sous la plume de Montherlant.

Aldaron
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le 25 oct. 2020

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