Un peu mais pas trop récit d'un désastre

Michaël Ferrier écrivait pour une période plutôt contemporaine à la catastrophe de Fukushima, moins pour en faire prendre conscience de l’ampleur (quelques recherches peuvent très bien y aider) que pour tenter de prévenir une tendance à la banalisation d’une situation extrême. Ainsi son récit Fukushima ne limite pas ses bornes géographiques à la ville éponyme, et globalise ses enjeux au Japon entier, non seulement à l’échelle du désastre mais aussi à la manière dont l’Etat gère le problème. A coups de spots publicitaires, de communiqués et d’appels au calme, le gouvernement aime à procrastiner sur les problèmes réels que la catastrophe nucléaire était censée mettre au goût du jour, fait paraître normal ce qui est anormal, établit des habitudes inhérentes au désastre pour continuer à faire vivre un quotidien dépassé.


Et tout cela est vrai. À moitié, en tout cas. Ce que Ferrier oublie, c’est qu’à partir du moment où un facteur, social ou scientifique, qu’il soit énergétique ou autre (ce qui inclut le nucléaire), prend place dans la vie quotidienne et dans les données humaines, tous les dangers potentiels qui peuvent en résulter, tous les risques inhérents, sont normaux par essence, chaque découverte étant normale en elle-même selon l’idée du progrès. Ferrier se trompe totalement de cible en visant les méchantes « élites dirigeantes » (comprendre l’Etat et les multinationales comme Areva) qui oppriment le peuple en lui imposant cette « demi-vie » nucléaire. Non pas qu’elle n’ait pas sa part de responsabilité dans l’état lénifiant imposé sur la base des circonstances, mais rejeter dessus l’intégralité de ses accusations est d’assez mauvaise foi, surtout dans la manière dont l’auteur manie l’ironie. Pourquoi, par exemple, Ferrier n’a-t-il pas préalablement parlé du matérialisme historique pour expliquer l’émergence d’une industrie nucléaire, pourquoi cette énergie est devenue indispensable aujourd’hui ?
Et pourquoi Ferrier se catonne-t-il au Japon et ne globalise-t-il pas sa théorie ? Bien qu’il bifurque de temps en temps sur Tchernobyl à titre comparatif, l’opportunité de mettre en exergue la possibilité d’une telle situation à l’échelle mondiale n’est pas entièrement saisie ; on sent que l’impersonnel utilisé au dernier chapitre pour expliciter le propos ne s’adresse finalement qu’à l’état présent du Japon après la catastrophe. Ou si la globalisation est bien là, il y avait un effort à faire pour la rendre claire.


Que reste-t-il donc de récit dans cette prose socio-philosophique ? Une description assez saisissante d’un Japon post-apocalyptique, entrecoupée de scènes catastrophe noyées dans une tendance systématique à tout poétiser, dans un style très japonais que Ferrier imite à outrance : chaque mouvement naturel, chaque révolution, chaque secousse surpuissante, chaque amoncellement de débris est animé de sa puissance poétique dans un registre très détonnant, sacrifiant le pathétique et l’effroi au profit du lyrisme. Que Ferrier abandonne en revenant à son tableau vivant (alors qu’il demande explicitement de ne pas en faire… drôle de paradoxe). Seul l’aspect social du livre apparaît finalement légèrement dépassé malgré le peu d’années nous séparant de sa parution. À vous de voir ce que vous en ferez.

Aldorus
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le 19 déc. 2017

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