Pourquoi Gatsby n'est pas un prince charmant...

[SPOILERS]


Une amie m'a dit (à propos du film que l'on venait de voir, mais tout ce que je dis s'applique aussi au livre) : « C'est triste que Gatsby meure, c'est quand même un prince charmant !» (ou quelque chose comme ça), et sans m’être jamais vraiment posé la question, j’ai répondu du tac au tac « il ne faudrait pas exagérer, c’est loin d’être un prince charmant » (ou quelque chose comme ça). Ca me semblait tellement évident. Et puis j’ai commencé à me demander quels étaient les arguments que j’avais pour avancer une telle chose, et pourquoi sa mort ne m’avait jamais rendue triste (même pas une fois sur les trois : livre - vieille adaptation - nouvelle adaptation, je fais les choses dans l'ordre). Ça ne m’a même jamais effleurée que ça puisse devoir sembler triste. Pourquoi ?


Certes, à première vue, Gatsby pourrait sembler être un prince charmant. On peut dire que question grands gestes romantiques, c’est un peu le roi. Passer des années et toujours rêver de reconquérir Daisy. Tout faire dans ce but, ne penser qu’à elle dans chaque chose de sa vie, tout faire en fonction d’elle,… Certes, il est extraordinairement romantique. Et je pourrais également admirer son extraordinaire capacité à l’espoir si je ne la considérais pas comme la conséquence logique d’un égo extraordinairement surdimensionné.


Je crois que c'est ce qui m'a d'abord choquée, et dérangée chez Gatsby, la raison pour laquelle il ne m'a jamais semblé attachant : trop de confiance en lui. Sérieusement, si peu de modestie, c’est loin d’être digne d’un prince charmant. A cela s’ajoute quelques autres défauts de sa personne comme une légère tendance à l’irascibilité. Et un besoin de tout contrôler, cette autorité qui lui fait demander à Daisy d’admettre qu’elle n’a jamais aimé son mari. Mais c'est loin d'être le pire...


Gatsby ne cherche pas à rendre Daisy heureuse, ce n’est pas ce qu’il recherche. Il veut la récupérer, il veut qu’elle l’aime, il veut qu’elle le choisisse,… Et oui, il suppose que ce choix va leur apporter le bonheur à tous les deux. Mais son bonheur à elle n’a jamais été le but. Ils auraient probablement pu être heureux ensemble, si il était retourné vers elle des années auparavant au lieu de partir faire fortune pour pouvoir se juger digne d’elle. Être digne d’elle, c’est ce qu’il veut en fait. Parce qu’il l’aime, supposément. Je dirais plutôt parce que ça serait bon pour son égo, que ça lui donnerait l’impression d’être une personne exceptionnelle. Et parce que ce serait une revanche sur la vie.


Je dis qu’il ne l’aime pas, et peut être que je ne comprends rien (c’est fort possible). Mais c’est parce que je ne comprends pas ce qu’il peut bien aimer en elle. Attention, je ne dis pas que Daisy n’est pas digne d’être aimée. Je trouve que Daisy est un personnage fort intéressant, et je crois qu’elle n’est pas mauvaise au fond. Mais je crois surtout que Gatsby ne voit rien de tout ça. Gatsby ne l’aime pas pour ce qu’elle est. Gatsby l’aime pour ce qu’elle paraît être : une ravissante idiote. Jamais il ne cherche à la connaître, à la comprendre, à voir plus loin. Peut être que c’est juste un coup de foudre, de la passion et qu’il n’y a rien à comprendre. Mais pour moi l’amour ce n’est pas ça. Daisy mériterait quelqu’un qui l’aime vraiment, qui lui permette d’être elle-même, d’échapper à cette façade. Daisy est ainsi parce que personne ne s’attends à ce qu’elle soit autrement, à ce qu’elle soit plus. Elle ne fait que se conformer à ce que l’on attend d’elle. Daisy mérite quelqu’un qui attende plus d’elle, pour lui permettre d’être plus, plus qu’une ravissante idiote. Parce qu’elle peut être plus, la preuve en est qu’elle est consciente de tout ça. Et ça, ce serait la rendre heureuse.


Alors qu’aime-t-il en elle ? Sa richesse. Parce qu’alors, la conquérir représente un revanche sur la vie, un pied de nez au « les pauvres n’épousent pas les riches », la preuve qu’il a réussi à s’élever à son niveau pour devenir digne d’elle. Gatsby a toujours aspiré à la grandeur, bien avant de rencontrer Daisy. Il a toujours voulu s’élever. Et être avec elle n’est rien d’autre que la preuve de son succès. Je crois que son amour est une excuse. Gatsby se considère comme une personne exceptionnelle, quelqu’un à qui s’élever ne suffit pas. Ce serait tellement dégradant d’un point de vue moral de rechercher la richesse pour la richesse. Si il veut s’enrichir, il doit le faire au nom d’une valeur plus grande, d’une valeur aussi grande que lui. Ce sera donc au nom de l’amour. Et forcément, tout ce qu’il fait est sublimé par le fait qu’il le fasse au nom de l’amour. Prendre l’amour comme excuse, ça c’est vraiment la bonne combine pour se donner bonne conscience et avoir l’impression d’être une personne tellement au dessus des autres. Alors Daisy peut importe après tout. Ce qu’il aime c’est juste l’idée qu’il s’est fait d’elle. L’idée de cet amour si grand qui n’est nulle part ailleurs qu’en lui. Ce qu’il aime en fait c’est lui-même.


Bien entendu, Gatsby a une autre raison d’aimer Daisy. Conquérir Daisy, ce n’est pas seulement la preuve qu’il est parvenu à se hisser au plus haut. C’est bien plus que ça, c’est prouver que l’on peut répéter le passer, le modifier, l’effacer. Contrôle absolu, pouvoir absolu. Pouvoir sur le temps. Ca, c’est ce que veut vraiment Gatsby : la preuve qu’il a le pouvoir de contrôler jusqu’au passé. C’est bien pour ça qu’il tient tant à ce qu’elle avoue n’avoir jamais aimé Tom. En tout cas, ce n’est certainement pas pour la rendre heureuse qu’il lui demande ça.


Que fait-il pour la rendre heureuse ? S’enrichir ? Habiter en face de chez elle ? Organiser des fêtes ? Ah oui, organiser des fêtes ! Des fêtes qu’il croit plaisantes pour elles. Et en vertu de quoi ? Parce qu’elles plaisent à tout le monde ? Au fond, il aurait fait exactement la même chose pour n’importe qui d’autre. Alors certes, il fait tout en fonction d’elle. Mais en fonction d’un elle très indéfini, que l’on pourrait remplacer par n’importe qui. Il-y-a très peu de personnalisation là dedans. A ses yeux elle est la même exactement que n’importe laquelle d’entre eux. Il ne la voit pas différemment. Bien sur il n’en voudrait pas une autre, parce que ça serait une conquête sans mérite et qui n’aurait aucun pouvoir sur le passé, ni la force procurée par le fait qu’il ai fait tout ça pour elle. Mais au départ ça aurait pu être n’importe qui d’autre. Que sait-il d’elle en fait ? Qu’elle est cette fille qu’il a aimé fut un temps. La connaître vraiment que lui importe ? Et puis elle n’aime même pas ses fêtes (bien qu’elle apprécie l’intention je suppose).


Dernière chose : ça m’a surprit d’entendre Nick dire à Gatsby « vous valez mieux qu’eux ». J’étais persuadée que c’était l’inverse (Gatsby le disant à Nick). En fait non pas du tout. Pure projection de mon avis personnel. Nick est tellement extérieur à tout : un peu comme un auteur, mais un peu surtout comme un lecteur, un peu comme nous. Et s’il pense ça, c’est que l’on est sensé le penser ? Bon d’accord, peut être que Gatsby vaut légèrement mieux que les autres. Certes, il agit avec un but. Mais il agit quand même comme eux. Au fond s’il méprise ces gens et ce monde, est-ce qu’utiliser la façon dont ils fonctionnent à son avantage est vraiment prendre une revanche ? Un peu peut être. Mais c’est aussi un peu hypocrite. Certes, Nick ne sert pas à grand-chose et surtout n’obtient pas grand-chose. Mais au moins en refusant plus ou moins d’exister, il refuse de participer à cette mascarade. Rester extérieur, ça c’est valoir mieux qu’eux. Mais c’est vrai que ça n’apporte pas le succès. Reste à savoir si le succès peut être une valeur en sois, un but vers lequel orienter sa vie. Succès, pouvoir, ascension, j’ai du mal à voir ça comme des valeurs. C’est peut être pour ça que j’ai l’impression de ne rien comprendre. Ça doit être parce que j’ai du mal avec les gens qui ont un excès de confiance en eux (j’ai du mal avec la confiance en sois en général en fait surtout). Mais même Gatsby a besoin d’une excuse. Au fond il pense comme moi : que vouloir être grand pour être grand c’est petit. Moi je crois que ce qui est grand c’est de rester petit et invisible.


En fait ce n’était pas la dernière chose. Gatsby est mort et je ne suis pas triste. Ça semble logique, parce qu’autrement l’histoire ne vaudrait plus rien (ou ne serait qu’une histoire d’amour et rien de plus). Peut être que sa mort est sensé être tragique, refléter l’impossibilité de l’ascension et le triomphe des gens comme Tom, le triomphe de l’ordre établi et de la fausseté. Peut être que c’est sensé être profondément triste et dérangeant par là même. Mais moi, ça ne me dérange absolument pas. Pour moi, sa mort montre surtout l’échec d’un égo surdimensionné, ainsi que celui d’un amour illusionnel et sans fondements. Non, on ne peut pas effacer le passé, peut être que ce n’est pas plus mal. Non, le succès et l’ascension ne doivent pas être les buts de notre vie, ce qui n’empêche pas qu’on puisse les rencontrer sur la route; ils ne sont pas pour autant impossible. Non, on n’a pas besoin de tout faire de manière exceptionnelle, on n’a pas besoin d’être exceptionnels. Peut être qu’on peut juste essayer d’être des gens biens, et que ça suffit.

Miss-Naïs
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le 14 juin 2013

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