J'ai découvert George Desvallières en apprenant qu'il avait peint le tableau préféré de Léon Bloy, le Sacré-Cœur de Montmartre. « Vous avez fait ce que personne, aujourd'hui, ne saurait faire. Vous avez fait un Sacré-Cœur à pleurer et à trembler.", lui écrira-t-il. Bouleversante représentation du Christ Pélican, qui offre son cœur pour le salut des Hommes :
http://georgedesvallieres.com/fiche1905_352sacrecoeur.html
Desvallières fut l'un des pionniers du renouveau de l'art sacré du vingtième siècle, mouvement qu'il a d'ailleurs cherché à structurer en créant les Ateliers d'Art Sacré, qui réunissaient des artistes chrétiens de toute sensibilité artistique. Le projet, hélas, ne lui a pas survécu.
Ce qui fait de lui un artiste chrétien plus actuel que jamais, c'est la volonté qu'il aura eu suite à sa conversion fulgurante, à l'âge de 44 ans, de se décloisonner de toute religiosité ou toute tradition pour diffuser le message du Christ et le cœur de la foi chrétienne à travers ses œuvres. Il travaillera du reste sur des supports très variés (peintures, dessins, vitraux, tapisserie...), toujours en quête d'innovation et indépendamment de toute académie.
De fait, l'art sacré tente d'exprimer un mystère intemporel mais n'a pas à se figer dans un cadre particulier. Seules comptent la passion, la sincérité et la sensibilité de l'artiste. Celle de Desvallières sera fortement attisée par l'expérience de la Grande Guerre, durant laquelle il s'engage comme volontaire à 53 ans (!), et perdra son fils. Dès lors sa peinture ne traitera plus que de sujets religieux, en particulier le mystère de l'Incarnation et de la Croix.
"Incarné"... Voilà bien l'adjectif qui caractérise son oeuvre et sa vie ! De même qu'on prie à la fois avec son cœur et son corps, Desvallières a eu l'obsession de se donner et d'aimer passionnément à travers son art, avec son cœur et son corps. Ses peintures transpirent de la joie douloureuse de la Bonne Nouvelle, et parviennent à rendre autant la matérialité de la vie charnelle du Christ que le rayonnement des âmes. Personnellement j'y retrouve l'esprit des Psaumes, ces cris tantôt maladroits tantôt violents adressés à Dieu. Tace et clama, disait Saint Augustin : Tais-toi et crie. C'est ce qui confère à ces œuvres leur caractère intemporel, accessible à tous et surtout loin des bondieuseries convenues et tièdes qui gangrènent l'art religieux.
Pour toutes ces raisons, l'oeuvre de Desvallières est à mon avis un phare qui peut guider la génération contemporaine d'artistes religieux au sein de notre société sécularisé. Avec un simple objectif que le peintre a bien synthétisé lors de l'une de ses conférences :
J'ai toujours pensé que dans une église, ce n'est pas tant le bon chrétien, l'habitué des autels, que nous devons atteindre dans notre apostolat plastique. C'est l'incroyant, l'antichrétien qui entre dans une église pour assister à un mariage ou à un enterrement. Comme cet individu ne prie pas, il regarde, pour se distraire. C'est là où je le guette. Voilà une couleur un peu bizarre, son œil est accroché, une composition un peu confuse, cela excite sa curiosité, il cherche à déchiffrer, et voilà une figure réellement douloureuse qui lui apparaît ; cela lui rappelle les traits d'un être cher disparu, les angoisses, les sueurs qui tordaient la figure de tel ami martyrisé, ou les suffocations d'un poitrinaire, les morsures d'un cancer, ou la simple tristesse d'un moribond quittant les siens. Cela ramène notre libre penseur au pauvre mort qui est là dans le cercueil, si c'est un mariage, que toute joie est toujours accompagnée tôt ou tard des mêmes souffrances.