Après le formidable, que dis-je l'excellent "Les frères Sisters" (chez Actes Sud, déjà), le canadien Patrick DeWitt récidive avec ce petit bijou de fantaisie, une extravagance gothique comme on aimerait en lire plus souvent.


L'histoire, on sait pas trop où elle se passe, mais ça ressemble pas mal aux Carpates quand même, si tu veux mon avis.


Lucien, Lucy pour les intimes, Minor, c'est une peu l'idiot de son village. Il est gentil, mais tout le monde s'en fout, sa mère la première, alors que Lucy est promis à un avenir radieux, il le sait bien.


D'ailleurs il s'est acheté une pipe, ça fait chic, mais tous ces ploucs ne savent pas l'apprécier.


A leur décharge, faut dire que Lucy a une fâcheuse tendance à raconter n'importe quoi, un peu tout le temps...


Bref, une nuit que Lucy passe à lutter contre une vilaine pneumonie, il est visité par un fantôme qui lui sauve la vie en refilant la maladie à son père, qui meurt, paix à son âme.


Pour notre héros c'est le signe de trop: il doit quitter son village et déployer ses ailes au dessus du vaste monde.


Avec l'aide du curé, Lucy se fait embaucher comme sous-majordome au service du mystérieux Comte Von Aux.


On s'en doute, notre brave Lucy va rapidement réaliser qu'il est bien loin de la vie de château.


La demeure est lugubre, le baron introuvable et il règne un atmosphère étrange que n'arrange pas l'annonce de la mystérieuse disparition du prédécesseur de Lucy...


Heureusement, le bonhomme est un optimiste, et si les villageois ont une morale douteuse, ils ont le mérite de compter parmi eux la belle Klara, qui lui volera un peu plus que son cœur...


Après avoir dégommé le western, DeWitt s'attaque aux contes traditionnels européens et trompe son monde avec des personnages qui ne sont jamais vraiment ceux qu'on croit.


Voleurs charmants, armées de carton et domestiques-famille, les plus vils comportements sont ici sublimés dans une monstrueuse humanité, un mélange de cœurs purs et d'orgies SM.


Avec ce conte initiatique loufoque, l'auteur invente un univers ultra personnel, un peu comme si Tim Burton s'était reproduit avec Wes Anderson.


C'est décalé, mais toujours distingué. Il y a une sorte de digne élégance, même dans les descriptions les plus triviales.


Et puis ces dialogues, bon sang ces dialogues! C'est pas évident de réussir les dialogues, il y a un équilibre subtil à trouver pour qu'ils soient cohérents avec le reste du récit, pour qu'ils soient signifiants.


Patrick DeWitt, il danse sur la corde de l'absurde, sans balancier, et, avec une formidable économie de mots, touche à la grâce d'une folle poésie.


En un mot: spectaculaire!


"-Je ne vais pas rentrer à Bury, mon père.
-Quoi ? Et pourquoi pas ?
-En fait, je cherche à retrouver une fille, mon père. Il se trouve que je suis tombé amoureux."
Le père Raymond se pencha vers lui. "Amoureux, tu dis ?
-Oui.
-Et ça se traduit comment ? Je me suis souvent posé la question ?
-C'est à la fois un moment de gloire et une terrible souffrance.
-Ah bon ? Tu ne recommanderais pas à quelqu'un de le vivre alors ?
-Oh si, je le recommanderais vivement. Ce n'est pas pour les âmes sensibles, c'est tout."

Chatlala
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le 5 févr. 2021

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