Sous-titrées Douze satires politiques, ces quelque quatre-vingt pages sont en effet un déluge de sarcasme et d’ironie. Comme l’indique le titre d’un des textes, « Christ militaire S.À.R.L. », le pouvoir économique, la religion et l’armée sont les premières cibles de Hausmann : « Premièrement, les décrets divins imposent à tous les hommes de mourir et deuxièmement, les généraux, par des méthodes appropriées, font en sorte que tous puissent entrer en grâce » (p. 12) – oui, sauf mention contraire, tout sera ironique ici. On retrouve, entre autres, le procédé classique de la fausse démonstration : « Un fusil est une chose adorable. Regardez ce beau canon brillant et cette jolie crosse ; accessoirement, on peut y fixer une baïonnette. À part ça, on y met des cartouches, des petits trucs qui pètent sacrément. À un fusil correspond toujours – dans l’armée au moins – un porteur, ce qui prouve d’emblée que c’est un objet noble » (p. 15).
L’auteur se place du côté du prolétariat : « Vive le capitalisme et l’économie mondiale qui nous ont permis d’aller aussi loin. L’ouvrier bon marché, l’épouse bon marché, l’enfant bon marché, la putain bon marché, l’art bon marché, la religion et la science bon marché ne sont là que pour le suprême honneur de l’économie mondiale, que nous, qui sommes incapables de faire autre chose, incarnons dans des titres, une compétitivité, du crédit et de la marchandise au rabais » (p. 46), avec toute l’ambiguïté de la démarche quand elle émane d’un courant – le dadaïsme – résolument avant-gardiste. (Étudier le rapport des avant-gardes artistiques avec la révolution et le peuple au cours du xxe siècle dépasse largement le cadre de cette note de lecture.)
Par ailleurs, le lecteur scrupuleux aura noté le caractère visionnaire d’un tel passage – Hourra ! Hourra ! Hourra ! a été publié en 1922. Dans cette lignée, d’autres passages se révèlent particulièrement grinçants : « Dieu merci il reste encore des types corrects – nous pouvons en prendre note pour la prochaine grande guerre. À partir de là, nous établissons deux catégories fondamentales de soldats : ceux qu’on abat tout de suite, et la deuxième catégorie, à qui l’on fait cadeau de prothèses » (p. 38) ou encore « Adolf Kutschenbauch mourut logiquement en produit de son éducation. Il fusilla quelques femmes et enfants sans aucune raison, juste parce que l’ordre, quelque part, exigeait des morts. / […] Il était là, il ne pouvait pas faire autrement – que Dieu lui vienne en aide !!! » (p. 78)
Le hic, c’est que, malgré la brièveté des textes, et même une certaine variété, tout cela finit par lasser : un déluge, ça ne fait pas dans la subtilité. Du coup, on finit par avoir l’impression – qui ne rend probablement pas justice à l’auteur – de voir un apprenti ninja qui vient d’apprendre à se servir d’un nunchaku et gesticule dans tous les sens, mais en exécutant toujours le même mouvement.
Si bien que la fin de la préface de 1970 met en relief un double échec – dans lequel les responsabilités, toujours à posteriori, paraissent partagées entre Raoul Hausmann et son public idéal : « Au fond de moi, je tablais sur un grand nombre d’hommes pensant et agissant avec équité mais qui, malheureusement, étaient incapables de faire sentir leur influence : ce livre fut écrit pour les secouer ! » (p. 84 ; la seule citation de cette critique qui ne soit pas ironique).

Alcofribas
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le 20 nov. 2018

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