Il rêve est un recueil posthume, et à ce titre mêle un peu de tout – fiction et autobiographie, poèmes en prose et récits, souvenirs de voyage et psychologie, fragments inachevés ou textes clos. Écrits par un peintre et dessinateur, une partie de ces textes valent moins dans une perspective strictement littéraire que par le dialogue qu’ils établissent entre littérature, beaux-arts et réel. Ceci n’exclut pas que Redon sache écrire, comme un artiste de la Belle Époque sait écrire.
En témoignent certaines trouvailles stylistiques : « un regard perspicace, qui semblait lire en moi jusqu’au fond de mes jours » (p. 21), et ici au fond ne signifie pas seulement à la fin, ce qui fait toute la différence. Peut-être, d’ailleurs, ces trouvailles sont-elles en partie involontaires : lorsqu’il écrit « Je ne le constate que trop maintenant » (p. 93), par exemple, Redon sait-il que sa phrase a un sens si on considère que « ne… que trop » porte sur l’ensemble de la phrase, mais un autre sens, plus intéressant à mon avis, si on fait porter l’adverbe trop seulement sur maintenant ?
Le tout baigne dans un jus qu’on pourrait qualifier de post-romantique, et que j’avais déjà noté en lisant la Confidence d’artiste de Redon. Ainsi, dans le poème en prose intitulé « Perversité », l’auteur se place-t-il avec « les penseurs, les poètes, et tous ceux qui s’en vont rêveurs et dupes, dont le mobile est l’idée des actes. Un martyre. Hors d’eux, que de bêtises. Regardez » (p. 63). Ce côté je suis intelligent, donc un paria, qui est peut-être ce qu’il y a de plus agaçant chez les romantiques, était déjà daté à l’époque où Redon écrivait ces textes (en gros, à partir des années 1860).
Mais là encore, des passages méritent qu’on s’y attarde un peu : dans une phrase comme « Ô tristesse, ô ma douce et fidèle compagne, ardeur hautaine et aristocratique, toi seule en moi ennoblis ma souffrance ; car très noble est ton mal, quand il est sans colère et docile » (dans « Il rêve », p. 54), on notera que la tristesse est qualifiée d’« ardeur », là où de moins subtils écrivains auraient écrit langueur ou abattement ; que la mélancolie romantique puisse brûler est une perspective intéressante.


P.S. : Pour ceux qui n’aiment pas acheter ou emprunter des livres en double : Il rêve et autres contes (paru chez « Libretto ») a aussi été publié sous le titre Nouvelles et Contes fantastiques (en 2011 par les éditions de la Réunion des Musées Nationaux) et comme partie intégrante des Écrits de Redon (en 2005 par je ne sais plus quelles presses universitaires britanniques).

Alcofribas
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le 23 oct. 2018

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