Pour qui a le souvenir d’avoir assisté, étudiant, à un cours de l’auteur, Invasion Zombie n’a rien de surprenant : ni pour le sujet choisi, par excellence pop-culturel, ni pour la profusion d’idées qui se bousculent dans chaque phrase. Un exemple : « Il se pourrait que la surenchère de cette “poétique de l’excès” traduise en fait le processus de désubtantialisation de la violence, de plus en plus fantasmatique dans les sociétés sécuritaires : la cruauté serait alors une nostalgie de l’“image-trace”, au moment où le “crime parfait” de l’hyper-réalité a définitivement évincé le réel et que nos propres corps disparaissent, amputés par la prolifération d’interfaces technologiques (immobilité paradoxale du surfer “internaute”) » (p. 25). Et encore, je passe sur certaines approximations syntaxiques, qui sont peut-être des hispanicismes.
On a parfois l’impression d’un fatras d’idées sans queue ni tête, comme lors de ces cours où Antonio Dominguez Leiva discourait d’un ton nasillard pendant une heure — ou une heure dix, ou une heure vingt… — sans s’appuyer sur le moindre note. Invasion Zombie fait l’impasse sur tout l’appareil métadiscursif du travail universitaire, mais le bordel n’y est qu’apparent ; pour qui cherche une « annonce de plan », elle n’apparaît pas explicitement comme telle, mais se trouve pages 10 et 11 : « « La trilogie charnière de Romero articule les mythèmes et les motifs essentiels qui vont configurer l’esthétique du zombie pendant son premier âge d’or (entre 1968 et 1983), et que, symptomatiquement, nous voyons renaître dans l’âge d’argent néo-zombie (2002-2013). La ville en ruines et l’anomie sociale, en proie aux dérèglements de l’“homme-masse” associé au topos fin-de-siècle des “nouveaux barbares” et la régression à la sauvagerie ; la pandémie et le motif de la rage associée au cannibalisme des morts ; la surenchère dans le détail gore, à la lisière de l’humour ; la paranoïa envers les appareils idéologiques d’État et notamment les pouvoirs médicaux et militaires ; le sous-texte religieux d’un Jugement dernier sans rédemption ; enfin, la politique du mauvais goût qui fait des zombies les emblèmes d’une anti-esthétique contre-culturelle. »
N’étant pas spécialiste de la figure du zombie — ni même de ce que l’auteur appelle « néo-zombie », c’est-à-dire le zombie post-Romero —, je ne me prononcerais pas sur la validité de ce que dit l’auteur à propos d’œuvres que je ne connais pas. Mais pour celles que je connais, je ne vois rien à objecter. L’appareil conceptuel mobilisé par l’auteur ne l’est jamais en vain, et jamais avec ce ton didactique d’un certain nombre d’essais censés initier le lecteur aux arcanes de la philosophie ou de la métaphysique en s’appuyant sur telle ou telle fiction à la mode. Quand l’auteur sort de son sujet, c’est parce que son sujet l’exige — ce qui est peut-être un trait caractéristique de tout bon essai consacré à un bon sujet de pop culture : écrire que « Le néo-zombie est une pourriture incarnée. Cette ultra-abjection a aussi partie liée avec le choix esthétique du macabre, donc d’un hyperréalisme » (p. 22), c’est prendre le lecteur pour quelqu’un d’intelligent — et son sujet pour un sujet absolument légitime — en tournant un constat élémentaire du côté de la réflexion, faisant d’Invasion Zombie un bordel vivifiant.

Alcofribas
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le 11 mai 2016

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