Rarement un livre m’aura laissé une impression aussi schizophrénique que celui-ci : "Invention des autres jours" est comme un ouvrage magnifique que l’auteur aurait volontairement déchiré en lambeaux, pour nous égarer dans les brouillards de son dédale temporel et fantastique.

Dans ce périple flou constellé de magnifiques visions nocturnes et énigmatiques, on tourne autour du trou noir de la Catastrophe, une succession de conflits armés ravageant ou ayant ravagé ce territoire. Au fil des chapitres, autour d’inventions réelles et datées de la société industrielle (le panoptique, la dynamite, le zeppelin, la bombe au phosphore…), un monde contre-utopique se dessine en filigrane, qui s’exprime par la voix des marginaux et des exclus, hommes ou bêtes.

Les motifs récurrents du récit semblent souvent très familiers - la normalisation des comportements, la puissance des experts, le pouvoir sans visage, l’anéantissement de l’idéologie politique, domination exercée par les leviers des fantasmes et de la peur – ici entremêlés au fantastique des personnages mythologiques qu’on croise et recroise, déclassés résistant dans ce monde disloqué.

Pourquoi ne pas accepter de s’y perdre ?

« La seconde femme n’était pas brune. Elle avait vendu son élégance contre un panier garni. Vu l’état du ciel, c’était le cinquième ou le sixième jour de l’hiver ; vu l’étendue des désastres, c’était la troisième ou la quatrième année de la guerre. Elle avait échangé son manteau, ses cheveux et ses bas contre quelques choux, du pain de seigle et du riz. Elle n’était pas plus pauvre qu’une autre, pas plus laide ni plus démunie. Sur la joue gauche, elle avait deux grains de beauté qui la différenciaient de toutes les autres femmes. Les autres, elles étaient quelques-unes, les glaneuses comme on les appelait. Le pont était une des dernières constructions de la ville à tenir encore debout, alors elles y demeuraient, des la première heure du jour. Autrement, elles fouillaient les décombres, déshabillaient les morts et suçaient des cailloux pour tromper la faim. »
MarianneL
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le 19 avr. 2013

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