Romancier du social depuis ses débuts remarquables dans L'immeuble Yacoubian, Alaa El-Aswany n'a jamais déçu dans ses ouvrages successifs même si on n'y retrouvait pas la fraîcheur de son premier livre. Avec J'ai couru vers le Nil, il opère un retour en force, avec un roman choral qui évoque la révolution égyptienne, moment de grandes espérances rapidement bafouées et déçues pour en arriver aujourd'hui à une situation qui n'a pas beaucoup évolué depuis les années Moubarak. Il y a un aspect documentaire dans le livre mais surtout une verve romanesque et une puissance d'évocation formidables. Un peu à la manière d'un Zola moderne, toutes proportions gardées. Certes, on pourrait taxer El Aswany d'un certain manichéisme dans sa galerie de personnages assez bien délimités entre acteurs et partisans de la révolution d'une part, et ses opposants, souvent proches du pouvoir, de l'autre. Mais la force du texte emporte tout et montre comment un élan populaire peut-être confisqué et comment une opinion publique peut être manipulée et trompée. Corruption, concussion, propagande : on connait les ingrédients par lesquels une dictature impose sa loi au plus grand nombre et le grand cinéaste égyptien Youssef Chahine l'a d'ailleurs démontré dans plusieurs de ses films même si situés à une autre époque. Mais il est vrai que comme le déclare El Aswany dans ses interviews, l'Egypte n'a cessé d'être une dictature militaire depuis l'arrivée de Nasser au pouvoir. Ardent défenseur de la liberté, humaniste convaincu, l'écrivain a signé un roman courageux qui n'a fait qu'augmenter la défiance et l'ostracisme du régime en place en Egypte à son égard. Cela parait un peu stupide d'écrire cela mais lire J'ai couru vers le Nil (et l'apprécier à sa juste valeur, qui est grande, et l'écrire) est un acte de solidarité et de résistance à l'obscurantisme qui est moins insignifiant qu'il y parait.

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le 27 sept. 2018

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Cinéphile doux

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