Joey One-Way carburait à la drogue et au sexe. De cette période, il ne garde désormais que des mauvais souvenirs. Junkie notoire, il a détruit sa famille lorsque sa femme l’a trompé avec un type de passage. Un type qui la faisait jouir, lui.

Joey a tout foiré sur ce coup-là. La faute à la drogue. La faute à cette brume rouge lui faisant perdre la raison. Il a buté son épouse et s’est retrouvé en taule, écopant d’une peine de dix-sept années dans quelques-uns des pires culs de basse fosse de l’Amérique.

Ses deux filles, les jumelles, la chair de sa chair, ont rejoint sa belle-mère qui les a élevées dans la haine de leur père. Il a perdu le contact, se coulant dans l’univers carcéral et y gagnant une réputation de dingue. Le genre de type à éviter.

Libéré grâce à un accord passé entre la commission de mise en liberté et Markie, un producteur de série télé séduit par sa personnalité, il se retrouve à la rue, débiteur de ce monsieur bons offices. Joey ne peut pas dire qu’il est perdant sur ce coup. Bombardé script doctor, il dispose d’un bureau où on le charge de pimenter des dialogues.

Pauvre Joey !

Propulsé de la cellule où il croupissait au milieu du show biz, le voilà embarqué dans des cocktails, obligé de côtoyer acteurs de seconde zone et jeunes femmes montées sur échasses. Le voilà condamné à téléphoner régulièrement à son contrôleur judiciaire et à dormir au centre de réadaptation. Le voilà prêt à tomber dans les bras de l’épouse de Markie, ex-prostituée française d’origine algérienne, partageant comme lui un passé de taularde et une propension pour le sexe. Oh Putain Joey !

« Joey.

Joey. Joey.

Certains sont géniaux.

Les génies, ils sont nés avec.

D’autres, le génie, il leur tombe dessus.

Certains sont nuls.

La nullité, ils sont nés avec.

D’autres, la nullité, elle leur tombe dessus.

Ou y se la ramassent.

Joey, il est devenu nul.

Joey, il avait pas à être nul.

Joey, il aurait pu connaître la gloire. Joey, il avait tout. Mais Joey aimait ça. Être nul.

Pensait qu’il méritait rien de moins. »

Si comme l’affirme Robin Cook (pas le chirurgien expert du traitement de texte, l’autre), écrire un roman noir revient à écrire des graffitis sur un mur, nul doute que Kill kill faster faster s’avère un graffiti bouleversant. Un cri désespéré issu des bas-fonds de l’Amérique. Une série de flashs émotionnels hantés par les regrets et la fatalité. Un long poème en prose inspiré par des muses se prénommant misère et déchéance.

D’emblée, Joey s’affiche comme un personnage tragique. Un écorché vif au passé/passif de junkie dépourvu de tout espoir de rédemption. Joey est une grenade dégoupillée sur le point d’exploser. Un chien fou n’ayant aucun scrupule à brutaliser ou à tuer.

En même temps, Joey est un pauvre type. Un mec faible, influençable, prompt à se laisser manipuler par autrui. Les événements lui échappent. Tant pis ! Il se laisse guider par ses instincts, tout en sachant que ceux-ci le conduisent vers une fin funeste. Il interpelle pour cela le lecteur, lui montrant qu’il n’est pas dupe de sa trajectoire fatale. Mais, il le fait dans l’unique intention de se plaindre. Pour larmoyer sur son sort. Car, Joey est fatigué de la vie.

En plus de 200 pages, Joel Rose parvient à nous faire entrer dans la tête de Joey. Il reproduit la manière de penser du bonhomme, conférant un air de fatalité à son itinéraire. Tout cela va mal finir, tout cela doit mal finir et tout cela finit mal. Très mal. Mais, c’est la vie de Joey.

La démarche force l’admiration, et ce d’autant plus que Joel Rose la mène jusqu’au bout sans déroger à son dispositif. Chapeau bas également aux traductrices qui restituent avec talent la litanie du bonhomme. Un phrasé oral, torrentueux, qui contribue énormément à l’atmosphère de ce livre, lui octroyant la dimension d’un (faux) témoignage.

Il va sans dire que je vais maintenant me jeter sur les autres romans de l’auteur. D’ailleurs, j’ai déjà repéré un titre très sympathique : Mort aux pauvres !
leleul
8
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le 21 juin 2013

Critique lue 106 fois

leleul

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