Rassurez-vous c'est français, c'est la police française!

En un mot: laborieux.


Avec L'affaire Léon Sadorski, Romain Slocombe s'est lancé un double défi: écrire une fiction historique d'envergure et choisir pour l'incarner, la dernière des ordures.


Malheureusement, il déçoit sur les deux tableaux.



Un roman historique avec des mots en allemand dedans



Une chose que l'on ne peut pas reprocher à Slocombe, c'est de ne pas être documenté.


Le roman fourmille d'informations historiques, de faits et de détails, certaines scènes ayant même été calquées sur des rapports d'arrestation de l'époque, et aussi de plein de mots en allemand qu'on ne comprend pas mais dont l’orthographe seule fait très peur.


Pourtant, cela fonctionne mal.


La raison est simple à mon sens: on a vendu au lecteur un roman, policier qui plus est, et on se retrouve avec une thèse sur la police française sous l'occupation...


En effet, disons le tout de suite, le cadavre annoncé en quatrième de couverture n'apparaît qu'au bout de 250 pages (soit plus de la moitié du livre) et semble désintéresser l'auteur au plus au point.


La fiction historique fait souvent les meilleurs polars, mais elle est un art délicat.


Sa maîtrise suppose un juste dosage de la fiction et des faits réels.


N'est pas Philip Kerr qui veut, Slocombe se perd dans le détail du fonctionnement de la police française sous les ordres de l'occupant teuton à tel point qu'on ne sait plus ce qui relève de l'exposé historique ou de la narration fictionnelle.


Slocombe étouffe son intrigue par trop d'informations, créant ainsi un filtre entre le lecteur et les personnages qui nuit à l'identification, ou à tout le moins, l'identification étant ici compliquée, à la projection dans l'intrigue et donc à l'implication de ce lecteur.


L'ouvrage n'est pas dénué d'intérêt, mais l'accroche erronée, voire mensongère du lecteur, qui n'est pas venu chercher la lourdeur d'un récit historique, laisse un sentiment un peu amer de frustration.



"Y'a pas de mot pour dire ce que vous êtes Monsieur Ramirez..."



Le second parti pris de Slocombe, toujours extrêmement intéressant sur le principe, c'est de faire de son personnage principal une parfaite ordure.


Il s'agit en l’occurrence de l'IPA (l'inspecteur principal adjoint, pas la bière) Léon Sadorski, antisémite convaincu et corrompu, pétainiste chasseur de cocos, arriviste fumeur de gauloises.


Se glisser de l'autre côté, se faire peur un peu, pourquoi pas, mais encore faut-il pour cela que l'auteur parvienne à faire naître de l'empathie chez le lecteur, ce qui implique de travailler la psychologie de ses personnages.


Or Slocombe, tout attelé à son récit historique, néglige en grande partie Sadorski, personnage vain, sans substance, sans nuance.


Ce personnage est certes un rustre, mais rien n'empêchait dans sa description de faire preuve de subtilité.


En fait de subtilité on joue la surenchère en faisant de cet homme, déjà pénible, un être libidineux et mesquin, le roman étant par ailleurs imprégné d'une sorte misogynie latente usante.


Il est à ce titre une scène assez pathétique et révélatrice dans laquelle l'auteur nous explique que Sadorski, détenu depuis des jours dans les geôles de la Gestapo à Berlin, dans le froid et la faim, s'adonne chaque soir avec passion à l'onanisme en se représentant des jeunes (voire très jeunes) femmes juives.


S'ensuit le détail de comment il nettoie sa cellule consciencieusement après avoir extériorisé ses fantasmes...


La gêne...


En réalité il n'était pas besoin d'ajouter du sordide à ce personnage, et le grotesque de certains traits anéantit même les efforts de l'auteur pour le faire détester.


Là encore, question de dosage.


Slocombe échoue là où, notamment, les frères Vaïner avaient excellé en se dotant d'un narrateur stalinien ex-membre du MGB (devenu KGB), et dont le récit était absolument glaçant: permettre l'identification au monstre.


Un conseil donc, si le côté obscur de le force vous attire, laissez de côté Sadorski et plongez dans L'évangile du Bourreau de Arkadi et Gueorgui Vaïner, chez Folio policier.



Résumé:



Paris 1942, Sadorski est inspecteur principal adjoint au sein du service des RG de la police française, section traque des juifs... Il est mystérieusement convoqué par les allemands et transféré au siège de la Gestapo à Berlin où il subira une série d'interrogatoires dont semble-t-il l'enjeu est finalement de l'intégrer en tant que gestapiste français...
De retour à Paris, une femme sur laquelle portait des soupçons d'accouplements avec les boches (oui on peut collaborer mais pas coucher) est retrouvée morte, violée (évidemment). Sadorski (on ne sait pas pourquoi d'ailleurs), est intrigué et décide (mais lentement) de mener l'enquête...

Chatlala
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le 9 oct. 2017

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