Difficile d'échapper au phénomène Elena Ferrante, cette mystérieuse écrivaine dont il est impossible de trouver la moindre photo. On la dit traductrice, ou duelle... cette aura étrange participe à l'évidence de son succès public, mais il fallait néanmoins une œuvre romanesque sérieuse pour soutenir la légende. J'ai donc cédé aux sirènes qui me chantaient ses louanges de toutes parts, et me voilà à la fin du tome un de ce qu'il est désormais convenu d'appeler 'la saga prodigieuse', en toute simplicité. J'avoue que les débuts ont été difficiles, malgré une plongée immédiate dans l'atmosphère particulièrement bien rendue de ce petit quartier populaire de Naples qui sert de décor aux aventures des personnages. D'abord parce que les deux amies protagonistes sont enfants au début de l'histoire et que leurs histoires d'école ou de poupées me laissaient un peu indifférente. En prime, le ton de l'analyse fouillée de leurs caractères ne me semblait pas convenir au peu de transcendance de leurs aventures. Mais j'ai bien fait d'être patiente, parce que l'adolescence a fini par apporter des enjeux autrement plus palpitants. Et, au fond, quand ça devient enfin intéressant, ça l'est d'autant plus que le décor a été planté très en amont par toute la peinture des années d'enfance des deux jeunes filles. Entrent en scène les garçons, la politique et les relations sociales complexes entre les adultes qui les entourent. Tout un microcosme hermétique qui évolue en marge du reste du monde, sans aucun recul sur ses coutumes. Tout y est codifié et les actes des jeunes gens ne sont que les échos affaiblis de ceux de leurs parents, et promettent à leur tour leur lot de violence et d'injustice. Car la mesquinerie se transmet jalousement de génération en génération : les gens s'observent, se jaugent et se jugent, et les enfants reproduisent joyeusement toutes les imbécillités de leurs aînés sans se poser la moindre question. Sauf la narratrice, Elena, dont on suit l'éveil progressif et qu'on laisse, à la fin du tome 1, à l'orée d'une prise de conscience majeure, dont on sent qu'elle pourra conditionner tout le reste de sa vie. Et ça, elle le doit à son goût pour l'introspection, à l'éducation qui lui est prodiguée et à l'influence de sa copine dont on devine vite l'intelligence vive. Du coup, on a très envie de voir si ça va la sauver ou pas et si sa tragique amie saura suivre le mouvement ou même l'anticiper, parce qu'elles fonctionnent comme des polarités opposées autant que complémentaires. Bref, c'est fichtrement bien goupillé, au final, et ça parle de ce qu'être une femme voulait dire, à cette époque et dans cette partie du monde, et ça n'est pas de la tarte non plus, bien évidemment.

Créée

le 17 juin 2018

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