"L’équarrisseur de Soho" est le second et dernier roman de Norbert Moutier à avoir été publié, avant la fin de la collection Gore. Il avait proposé ses autres manuscrits à différents éditeurs, mais refusait d’effectuer les censures qu’on lui demandait.
Dans une interview dans Libération datant de 1995, Moutier évoque aussi plusieurs scénarios de films jamais tournés, dont "Soho maniac" ; j’ignore encore si le roman est devenu un script, ou l’inverse, mais on m’a confirmé qu’il s’agit bien de la même histoire.


Le personnage principal est très cliché : Bailey, boucher passionné par la tuerie dès l’enfance, dont la laideur l’a toujours tenu à l’écart des femmes, qu’il méprise évidemment.
On sent encore et toujours l’influence de Massacre à la tronçonneuse dans l’œuvre de Moutier.
Mais ce qui est intéressant, c’est que le point de vue sur la modernisation du métier d’équarrisseur est inversé par rapport à la norme ; l’automatisme des machines rend la tache plus simple et moins dangereuse, mais Bailey déteste ce changement, qui le prive de son plaisir de tuer.
A cause d’un larcin, le héros perd son emploi et ses diverses sources de revenus, puisqu’il revendait de la viande en douce et amenait une bouteille de sang quotidiennement à une vieille femme qui prétendait en abreuver ses chats. Et sur ce point, on dirait que Bailey n’est pas décontenancé par cette pratique absurde, parce qu’il ne la remet pas en question avant un moment.
Ajoutez à cela la fréquentation régulière des prostituées, et la suite des évènements découle avec logique : Bailey se met à tuer des putes pour s’approvisionner, et même s’enrichir bien plus qu’avant.
Évidemment, "L’équarrisseur de Soho" n’arrange en rien la vision des femmes que Moutier nous présentait dans son livre précédent. Tous les personnages méprisent les putes, et il n’y a pas une femme dans ce roman qui ne soit pas décrite avec aigreur ou même dédain, qu’il s’agisse d’une catin qui dégoute par son surpoids, ou une dame dont l’auteur prend plaisir à décrire les formes, mais qu’il dénigre pour son comportement de mégère.
Sérieusement, force est de constater que Norbert Moutier avait un problème là-dessus…


Il faut reconnaître que l’écriture est plus soignée que dans "Neige d’enfer", l’auteur usant d’un vocabulaire un brin plus riche, et pense à des détails dans ses descriptions qui donnent un peu plus de consistance à ses personnages. Par exemple, l’équarrisseur du titre nous est présenté alors qu’il essuie son front du revers de sa manche, sans se toucher, car trop habitué à avoir les mains maculées de sang après des années passées dans un abattoir.
Moutier arrive même pendant un temps à faire croire à sa description de la cartographie Londonienne (ville probablement choisie uniquement pour dresser un parallèle avec Jack l’éventreur).
Par contre, à force de vouloir gonfler ses descriptions, le romancier se retrouve avec des formulations étranges : "une bouteille à la transparence douteuse"… qu’est-ce que ça veut dire ? Comment la transparence peut être douteuse ?
Et plus tard dans le livre, on dirait que Moutier ignore la définition d’ "apologie", car il emploie le terme à contresens.


L’intrigue quant à elle passe d’une situation absurde à une autre, Bailey assassine des prostituées sans s’attirer d’ennuis même quand il fait partie de leurs habitués, d’autres fois il tue sur un coup de tête, toujours sans aucun problème. Il revend la viande humaine à des bouchers ou restaurateurs qui ne posent pas de questions.
Il se débarrasse des corps en les jetant simplement à la poubelle, et arrive à nettoyer les traces même quand il a foutu du sang partout et que la victime a hurlé.
Certes les policiers finissent par retrouver le tueur… mais ils mettent du temps pour quelqu’un d’aussi peu discret !
Les meurtres deviennent un peu répétitifs, avant que l’histoire ne vire au grand n’importe quoi.
Alors que Bailey cherche à enfouir un cadavre dans un cimetière, il exhume un soldat zombie. Aux deux tiers du roman.
On dirait que c’est le ressort scénaristique préféré de Norbert Moutier pour ses derniers actes, quand il ne sait plus quoi faire de son histoire : on voit ça aussi dans Ogroff et Alien platoon !
Au début je pensais que le zombie était une manifestation de la culpabilité de Bailey, mais non, puisque la créature bute une tonne de flics.
C’est d’un jemenfoutisme évident dans la conception de l’intrigue, contrasté par une écriture qui reste encore détaillée ; c’est très étrange.
Moutier essaye même de rationaliser les réactions des autorités, mais c’est risible : "Les journaux les plus engagés voyaient là un être drogué, conditionné tel un samouraï et expédié par les milieux terroristes Libyens. D’autres avançaient l’hypothèse d’un être robotisé programmé par l’I.R.A." (page 121)
Mais la conclusion et son twist (quand même spoilé par la couverture du livre, un comble) est d’un grotesque qui surpasse le reste. Ça se veut être un déchaînement de violence mais c’est une succession over-the-top d’actions ridicules.


Ça sent le travail bâclé. Mais évidemment, que j’aurais été curieux de voir ça en film !

Fry3000
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le 10 avr. 2018

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