On n'a jamais entendu ça, un Québec qui speak white dans la fêlure de son soi.

Je viens de finir la lutte d'un homme contre son aliénation, une oeuvre-vie, à défaut de mieux. Il y a la nécessité d'une terre, un rêve fou d'indépendance ; il y a le Boss, l'anglôtre, qui s'imnisce dans toutes tes phrases, qui te vole tes lèvres, qui fricate avec elles à ta place, qui met son Stop, son Smoked-meat, son ordre-de-toast ; il y a l'amour d'un héritage aussi.

La terre, le Québec libre, maître chez lui (on dit toujours René Lévesque, mais non, même pas lui, même pas avec son referendum), la politique d'une langue déchaînée dans son agonie, le militantisme, je passe mon tour. Ma sensibilité est ailleurs. Je me fous d'un pays, d'un Anglôtre qui existe plus, qui me dit plus de speak white parce que j'ai le luxe d'être né après qu'on se soit battu pour tout ça, après qu'on ait repris nos mots, même si je dis encore toast, smoked-meat, même si j'entends encore «Ça fait du sens». Je me demande si on peut devoir de la haine à quelqu'un parce qu'un autre s'est battu pour quelque chose dont on bénéficie. Je me demande, rhétoriquement, parce que la réponse est non. La position de force existe plus entre them et nous. On parle français, oui, mais personne se perd en apprenant l'anglais, plus maintenant.

Donc, voilà, la nécessité du combat est moins prégnante. L'État vu comme une obligation, ça existe pas non plus pour moi et c'est un peu pour ça que Miron m'agace. Je connais son combat, son contexte, sa lutte, sa poésie de pauvre, de sans-mots pour s'abriter, son non-poème et l'aliénation, mais ça a 50 ans et les choses changent. Plus d'ennemi, plus d'antagonisme. Y'a des cons qui demandent qu'Arcade Fire chante en français, des restes de complexes, mais est-ce que ça nous définit encore ? J'espère que non.

Ce qui me rejoint plus, c'est l'aliénation linguistique, même si elle est complètement différente. Je suis pas aliéné par une autre langue, mais pas la mienne, propre. Je parle français, je l'écris, je le poétise, mais souvent, je le regarde, le trouve étrange, doute de lui, de moi en tant que le porteur de ses mots. Je le vois qui éclate devant mes yeux dans le coin d'une lettre. J'hésite, je cherche, je vérifie, je corrige, je recommence. Le sens, je le tâte, le retourne, le mutile, le perd, le retrouve, le repère. On remarque pas ça tant qu'on regarde pas un mot donc on croit avoir la certitude comme s'il venait d'ailleurs. Est-ce que le français m'est étranger ? Techniquement, non. Techniquement, j'en ai la maîtrise relative. Je peux jouer avec lui assez facilement, le dépecer, le et céterer. Je peux tout ça et pourtant, il glisse, anguille morveuse ; il glisse et je doute. Je doute seul, sans qu'on m'impose quoi que ce soit, mais qu'est-ce que j'y peux, c'est là quand même, alors je me bats comme je peux, avec mes moyens de pauvre, avec un dictionnaire, un Bescherelle pour pourfendre l'hésitation, hélas sans succès. Dans L'homme rapaillé, il y a presque ça et un presque, ça suffit à ériger des gratte-ciel.

Mais y'a aussi des images, parfois excessives, parfois ridicules, parfois affreuses, mais parfois justes. Une oralité avec laquelle j'arrive pas à me réconcilier, une oralité faite de Ô, de déclamations, d'envolées bizarres, difformes. J'y peux rien, ça me rebute. Certains poèmes sont grands (Faits divers, entre autres), mais il faut nommer personne, je crois. Je veux préserver d'attentes et de déceptions.

L'amour aussi, encore le même adverbe. Emmanuelle, fille, héritage. J'ai eu du mal. Maniement bizarre, encore, ou alors, indifférence. Aime qui tu veux, mais bien et sans forcer ? Amour finira pas être synonyme de niaiserie, qui va perdre sa naïveté et ce qu'il peut avoir d'affligeant. La distinction existera plus.

Bref, fulgurances, jambes de bois, dérapages, rabâchages (militantisme souverainiste), fulgurances, beautés, échecs. C'est un recueil à hauteur d'homme, avec ce que ça suppose d'imperfection et de répétition et de et.

Maintenant, je me demande (encore) si l'influence est pas néfaste, si elle peut pas aussi être une négation de soi ? Genre, je te vole parce que j'ai pas les mots. Hommage, d'accord, mais pourquoi pas t'exprimer avec tes propres virgules ? Je remets pas la référence en question, mais je m'interroge. C'est pas un mal sauf que j'avoue que parfois, elle me met mal à l'aise, mais tout ça a rien à voir avec le recueil.

(Cette fois, je laisse les fautes, je corrige pas. Soyons hommes et faibles, un peu.)
Megillah
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le 21 févr. 2011

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