c/c de ma fiche de lecture rendue sur le bouquin (style scolaire, donc)


« L’idée de l’Europe en Bohème », de Jan Patocka (1907-1977) est un regroupement de quatre textes écrits entre 1938 et 1975 portant sur la question tchèque. Patocka présente d’abord, sur près de la moitié de l’ouvrage dans « Qu’est-ce que les Tchèques ? » un portrait de l’Histoire de la nation tchèque, des origines à la Deuxième Guerre Mondiale. Nation tchèque au sens large du terme, car les frontières de la République Tchèque actuelle (que n’a pas connu Patocka, mort assassiné en 1977) se sont évidemment mues au cours du temps. Dans une seconde partie « Philosophie de l’Histoire tchèque » il analyse le sens et le devenir historique de son pays, non sans avoir expliqué au préalable ce qu’était la philosophie de l’Histoire et sa nécessité. Le passage sur la « Culture tchèque en Europe », écrit peu après les Accords de Munich, s’étend sur le particularisme tchèque en Europe et analyse l’apport « tchèque » au continent. Dans sa dernière partie, « Idée de la culture et de son actualité aujourd’hui », écrit en 1969, il livre son regard sur « l’esprit tchèque » et son rapport à la spiritualité. Une postface signée de Zdenek Vasicek, philosophe tchèque (1933-2011) conclue l’ouvrage en analysant et en contextualisant ces écrits.


L’Histoire tchèque est racontée par Patocka. Des premiers celtes aux invasions germaniques, de l’installation des premiers slaves à la dynastie de Prymyslides. Du mouvement Hussite à la Réforme et son intégration au sein des maisons Luxembourg puis Habsbourg, la Première République de 1918 ensuite pour finir sur son démantèlement par l’Allemagne Nazie en 1939. Plusieurs thèmes se dégagent de ca tableau, l’idée de « Grande » et « Petite » Histoire tchèque notamment. Pour Patcoka, la « grande Histoire tchèque » s’étend des premiers Prymyslides au XVème siècle et de son expansionnisme à l’Est jusqu’à son intégration parmi l’Autriche-Hongrie. C’est l’Histoire tchèque écrite « d’en-haut », par les nobles, la monarchie. A celle-ci il oppose la « petite Histoire tchèque », un pays édifié « d’en-bas », par la paysannerie et la petite bourgeoisie et qui est un particularisme unique en Europe à ses yeux. Ces deux Histoires caractérisent la grandeur de la Nation tchèque. Pour lui, cette grandeur est passagère, de même que l’Histoire tchèque n’apparaît pas comme continue au cours de l’Histoire. Il prend le parti de considérer qu’il n’existe pas de « génie tchèque » et considère l’Histoire tchèque comme une invention destinée à légitimer la Nation. Parallèlement, l’esprit tchèque est pour lui foncièrement démocratique et en ce sens, fondamentalement européen.
L’Europe est en effet un thème récurrent dans l’ouvrage. La Bohème (principal berceau culturel tchèque) se situe au centre géographique de l’Europe et à la frontière des sphères civilisationelles Est-Ouest, Rome- Byzance, catholicisme-protestantisme, en interaction des éléments romains, slaves et germaniques. Elle est un foyer où différent éléments de la vie européenne se rencontraient et fusionnaient. Le hussitisme à cet égard, est pour lui le germe dont sont nait les principes fondamentaux des temps modernes, notamment la liberté d’opinion et de conscience. Il fait la distinction entre un « démocratisme élémentaire du principe slave » selon lui handicapé par un penchant à l’anarchie, et un autoritarisme germanique et à son « esprit d’entreprise », entreprenant et énergique. La synthèse de ces deux principe donne naissance selon lui naissance à Humanisme universel dont l’Europe serait l’étendard dans le monde et dont les caractéristiques essentielles sont l’égalité démocratique, la liberté de pensée et la « libre autodétermination éthique dans toutes les sphères de la vie ».
En ce sens, il reprend les thèses de Masaryk (1850-1937), penseur et homme politique tchèque dont un des combats fut la croyance à la démocratisation progressive et irréversible de l’Europe.
Tout le long de l’ouvrage, Patocka se livre aussi à une autocritique sévère de son pays. En opposition à la grandeur de la Bohème, il dénonce sa « petitesse » : « la myopie politique de la noblesse », sa germanisation, son manque d’ambition et son incapacité à produire –à de rares exceptions près, de penseurs, de philosophes et d’hommes porteurs d’idéaux. L’esprit tchèque et son rapport à la spiritualité ne sont pas non plus épargnés, et il dénonce tour à tour, la faiblesse et le « manque de tension » intellectuelle de la bourgeoisie, la pseudo-culture, l’absence de vraie pensée politique et les carences de la vie culturelle tchèque. A ceci il préconise vivement la redécouverte de la philosophie antique qui est un des acquis fondamentaux de « l’Humanisme universel européen ».


«L’idée de l’Europe en Bohème » est une lecture intéressante à bien des égards. Sur le plan pratique, il est toujours agréable de découvrir l’Histoire d’un pays -qui plus est voisin de la Pologne : la naissance d’un sentiment d’appartenance à une entité commune, l’évolution de ses frontières à travers le temps, éléments qui aident à comprendre la géopolitique actuelle. La notion de philosophie de l’Histoire m’était également inconnue. Difficile de me prononcer par contre sur les thèses soutenues par Patocka, faute d’un manque de connaissances à ce sujet, mais certaines, dont sa conception d’une dualité « esprit slave démocratique/esprit germanique autoritaire » soulèvent d’autant d’interrogations qu’elles ne sont pas étayées d’exemple concrets. S’il est vrai, également que le mouvement hussite naquit en Bohême, il est, à mon avis quelque peu péremptoire d’affirmer que les tchèques sont de fait intrinsèquement démocratiques, et en ce sens des postulats sont peut-être, sinon énoncés trop vite, sinon pas assez fournis d’argumentations.
L’idée « d’Humanisme universaliste européen », idée centrale de l’ouvrage, peine aussi à me convaincre, si pour Patocka, l’Europe est au centre du monde, il n’est à aucun moment dans l’ouvrage mention dudit monde en question ni non plus les raisons qui en font un espace si peu digne d’intérêt.
Son autocritique sur l’esprit tchèque quand à elle, est aussi sévère qu’inattendue dans regroupement de textes dont l’un s’intitule « la culture tchèque à l’Europe ». Ce côté « qui aime bien châtie bien » est aussi plaisant à la lecture qu’instructif, c’est à mes yeux une jolie exhortation à aller de l’avant et une ode à une certaine création spirituelle et artistique.
Si l’agencement du plan est plutôt cohérent quand on sait que les écrits ont étés publiés sur un laps de temps si long, on peut déplorer certaines absences. Sur le côté historique stricto-sensu, rien ne fut rédigé sur la période d’après 1939 par exemple, et un décalage entre le paysage historique brossé dans sa première partie et l’analyse de l’esprit tchèque et de l’européanisme de la Bohème se fait sentir, par manque de repères. Une biographie succincte en début d’ouvrage aurait aussi été bienvenue.
Enfin, l’emprunt à un langage technique philosophique ça et là peut rebuter le lecteur non initié, tout comme certaines précisions historiques peut-être parfois trop minutieuses pour un lecteur peu féru d’archéologie, même si, à l’évidence l’auteur soigne suffisamment son discours pour être lu et apprécié par d’autres que des tchèques.

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le 20 févr. 2015

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