Comprendre les mutations sociales, spatiales et économiques de la France

Ce sujet a été très bien décrit par Christophe Guilluy en 2014 dans son livre La France Périphérique, que je vous recommande vivement. J'en ai d'ailleurs fait une synthèse ici : https://www.senscritique.com/livre/La_France_peripherique/critique/235197064


Je passerai dans cet avis sur la tertiarisation de l'économie française déjà très bien expliquée par Christophe Guilluy. Pour les non convaincus, il suffira de retenir ces chiffres exposés par Vermeren : en un demi-siècle, l'emploi industriel est passé de 40% à 10% de la main-d'oeuvre, tandis que l'emploi agricole est passé de 15% à 2%. Cette mutation a été la plus importante dans les métropoles, à l'instar de Bordeaux, dont le tertiaire représentait en 2019 85,3% des emplois.


Un des apports intéressants du livre est d'exposer la contradiction de la montée de l'écologisme dans les métropoles. En 2020, les écologistes sont élus dans une douzaine de grandes villes françaises, dont Grenoble, Lyon, Bordeaux et Strasbourg et alliés au PS à Paris, Marseille, Rennes, Nantes. Cela témoigne certes d'une prise de conscience des bobos métropolitains (dont je fais partie) de l'urgence écologique. Mais au-delà des grandes idées, que font réellement les maires écologistes pour l'écologie ? L'actualité récente semble indiquer que cette vague verte municipale se rapproche davantage du greenwashing. Plantations d'arbres et de "forêts urbaines" (on se souviendra de la proposition de Griveaux de faire un Central Park parisien à la place de la gare de Lyon), retrait des sapins de Noël et développement des pistes cyclables, on a un peu l'impression que les maires de gauche ou écologistes n'ont pas vraiment pris la mesure de la tâche à accomplir. Comme le souligne Pierre Vermeren, c'est toute la structure métropolitaine qu'il faut repenser, et non pas seulement le centre-ville. Planter un arbre à Paris, c'est cacher la forêt de pollution qui existe dans tout le reste de la région: voitures, camions, artificialisation des sols etc.


Le modèle métropolitain, par son expansion démesurée et la délocalisation voulue de sa production, est par essence anti-écologique. Les usines ayant progressivement fermé, c'est autant de cargos et de camions qui nous approvisionnent depuis la Chine (notamment) qui sont apparus. La flambée des prix de l'immobilier a permis aux cadres de demeurer au centre de la région, proche de leur lieu de travail, et de pouvoir crâner en voiture électrique, tandis que les employés sous-qualifiés, souvent immigrés, sont relégués en banlieue et dépendent de la voiture thermique.


Pierre Vermeren nous livre aussi une analyse intéressante sur les infrastructures. A l'échelle nationale comme à l'échelle municipale, celles-ci ont toujours profité aux cadres supérieurs. A l'échelle nationale, le choix a été de développer des aéroports et des TGV qui relient les grandes métropoles, tandis que les lignes secondaires (reliant les villes de plus petite taille) ont été sacrifiées : en cinquante ans, plus du quart du réseau ferroviaire français a été abandonné et plus de la moitié des lignes restantes ne sont pas électrifiées. A l'échelle municipale, il suffit de regarder un plan de Paris pour se rendre compte de la centralisation du système de transport et l'absence de transports intercités. Les TGV ont capté 40% des investissements en termes d'infrastructures, alors qu'ils ne concernent que 9 % des passagers. Les trains de banlieue ont eux reçu 13% des investissements alors qu'ils représentent 70% des passagers.


Cette structure des réseaux de transports, qui s'accorde avec la localisation des emplois à haute valeur ajoutée, conduit à une organisation très particulière du territoire français : un archipel de métropoles connectées entre elles, entourées d'une zone plus ou moins agréable de banlieue logeant une main d'oeuvre peu qualifiée mais indispensable au bon fonctionnement du corps métropolitain (services à la personne et aux entreprises, fonction publique etc), et, en dehors, le "reste" (c'est à dire ce qui n'est ni la métropole ni sa banlieue), ce que Guilluy a appelé la "France Périphérique", et ceux dont les médias ne se soucient pas (et qui, au passage, constituent 2/3 de la population française).


Cette partition territoriale n'est pas démocratique. Elle oublie les classes populaires françaises et elle exploite sans vergogne les populations immigrées. Parce qu'il ne voit que ce qui l'entoure, le bobo métropolitain, naturellement de gauche et progressiste, défend le multiculturalisme, promeut à tout va les minorités ethniques, et méprise le gilet jaune. S'il était presbyte, il serait certes d'extrême droite ou abstentionniste. L'insécurité grandissante des métropoles commence à l'effrayer cependant. Un sondage, que Vermeren nous incite à prendre avec des pincettes, révèle que 8 cadres parisiens/10 veulent quitter Paris. Ce n'est pas en allant dans une autre métropole cependant qu'ils changeront d'air. Lyon, Marseille, Bordeaux, Lille, Toulouse, Strasbourg, Grenoble, Nantes, Rennes... toutes ont évolué de la même manière. Même les villes plus petite, comme Amiens, Brest, Nancy, Limoges cherchent à reproduire par mimétisme le modèle métropolitain en dénaturant leur spécificité patrimoniale... Ou faudra-t-il donc aller pour retrouver un peu de sérénité en France?

Philip-Marlowe
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le 13 juin 2021

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Philip Marlowe

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