« Antonin Artaud n’a pas besoin de problème, … »

« … il est déjà assez emmerdé par sa propre pensée. » (p. 58)
Lire Artaud implique d’en connaître un minimum sur sa vie : la folie, l’obsession de la mort, la profusion de textes, la diversité des supports, l’omniprésence de la douleur physique et mentale. Mais aussi de dissiper quelques malentendus : on ne le lit pas comme n’importe quel classique — et de ce point de vue le lecteur habitué aux exercices scolaires ou universitaires ne part pas forcément en avance sur le simple curieux qui n’a pas de fiche « surréalisme » au fond de ses classeurs. Mais si Artaud corrobore la théorie de l’art comme indissociable de la vie de l’artiste (« Là où d’autres proposent des œuvres je ne prétends pas autre chose que de montrer mon esprit. », l’Ombilic des Limbes, p. 51), on perd tout autant à lire ses textes comme les seules émanations d’un patient.
Quant à l’obscurité présumée des écrits d’Artaud, elle est loin d’être générale dans ce recueil : bien sûr, c’est moins clair qu’une recette de cuisine, et certains passages exigent que l’on y revienne, mais il existe des poètes pas aussi puissants pas plus faciles…
Une partie des textes de ce recueil comporte un arrière-plan réflexif que tout lecteur un peu persévérant comprendra, qu’il y adhère ou non : Jacques Rivière — dont une partie de la correspondance avec Artaud ouvre le recueil — fut tel, qui note le contraste entre le clairvoyance de l’auteur sur lui-même et la pauvreté de ses réalisations. « Pour que l’esprit trouve toute sa puissance, il faut que le concret fasse office de mystérieux », recommande ou constate-t-il (25 mars 1924) ; « Cette inapplication à l’objet qui caractérise toute la littérature, est chez moi une inapplication à la vie », répond Artaud (25 mai 1924). Ce dernier a beau tenir à l’exclusivité des avis portés sur lui, le diagnostic est partagé. Si un directeur de collection peut saisir la pensée d’Artaud d’abord sur la seule foi de ses lettres, pourquoi pas un lecteur aguerri un minimum ?
Bien sûr, ça se complique un peu dès qu’on aborde les textes proprement poétiques — prose ou vers. C’est qu’Artaud dénigre ce dont il se sert : « Je suis celui qui a le mieux senti le désarroi stupéfiant de sa langue dans ses relations avec la pensée. » (le Pèse-Nerfs, p. 105), « Toute l’écriture est de la cochonnerie. » (idem, p. 106). Du coup, la moindre image fait office de pis-aller — ce qui n’exclut pas d’office qu’elle soit réussie ou très… expressive.

Alcofribas
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le 27 mars 2016

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