Créateur des conférences « L’encyclopédie des guerres » qu’il présente depuis 2008 à Beaubourg, une exploration systématique de la représentation des conflits militaires depuis l’Antiquité, Jean-Yves Jouannais est un critique d’art devenu artiste et écrivain.

L’usage des ruines, essai romanesque publié en 2012, nous livre, dans un style très vila-matasien revendiqué (Enrique Vila-Matas est présenté en préambule comme le véritable auteur du livre), une galerie de portraits d’hommes qui ont « en commun d’avoir reconnu leur obsession au contact d’une ville assiégée », depuis l’Antiquité jusqu’au début du XXIe siècle.

La dimension romanesque, parfois fantasque, peut déranger au regard de l’horreur de la guerre, mais l’érudition artistique et guerrière de Jean-Yves Jouannais, sa capacité à rêver les lectures et les obsessions de ces chefs de guerre ou de ces témoins de ruines qui les assiègent, forment des récits passionnants, vingt-trois portraits obsidionaux qui nous donnent à voir les décombres de la raison humaine reflétées dans les ruines de la guerre.

Il y a l’obsession d’Albert Speer de construire des bâtiments pensés et réalisés pour produire de belles ruines. Cette obsession d’un empire qui pensait sa propre mythologie fut contrecarrée par le Teufelsberg, la colline érigée avec les débris de Berlin détruite, sous laquelle est enfouie l’université nazie construite par Albert Speer, contrariant ainsi le « devenir-ruines fantasmé et programmé du monument nazi tout en oblitérant les marques de combat et donc d’héroïsme que ses façades arboraient ».

On croise encore l’obsession de gloire du colonel Louis Archinard, militaire français qui contribua à la colonisation de l’actuel Mali, marchant vers la conquête d’un Tombouctou rêvé, déjà disparu depuis des siècles.
«Louis Archinard marche vers un leurre. Depuis des siècles, plus rien de ce rêve ne correspond à une quelconque réalité. Un sultan marocain et ses troupes ont effacé Tombouctou dans les dernières années du XVIe siècle. […] Mais Tombouctou rayonne encore. Perchée très en hauteur, protégée par des déserts intransigeants, elle continue de briller à la manière d’un objet céleste dont la nouvelle d’une mort déjà ancienne ne nous serait pas parvenue. Sa magnitude apparente est un mensonge.»

Fascinante traversée du temps sur les ruines, comme si seule la poussière pouvait rendre compte de la folie humaine.
MarianneL
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le 9 avr. 2013

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