Dans la littérature pléthorique New Age, celle qui vous serine que tout est relié à tout, et que vous avez planifié votre « chemin de vie » dès avant votre naissance, les livres de Neale Donald Walsch ont fait fort. Ses trois volumes de « Conversations avec Dieu » tiennent les promesses de leur titre : Neale y parle avec Dieu, dont les réponses sont imprimées dans une police de caractère différente.
Une fois que vous aurez cessé de rire parce que vos muscles abdominaux se seront douloureusement crispés suite à ce salutaire exercice, il n’est pas interdit de d’examiner ce quatrième opus, dans lequel Neale entreprend de se lier d’amitié avec Dieu. Neale Donald Walsh y raconte sa vie de journaliste désargenté, les épreuves (sérieuses) et les aléas qu’il a connus (comme pas mal de monde) pour se trouver une situation professionnelle et financière stable, et les déductions qu’il en tire sur le sens de sa vie, avec l’aide de Dieu, qui attend rarement plus de trois pages sans intervenir personnellement.
L’idée, c’est que Dieu laisse à Neale la liberté parfaite de ses décisions, même celles qui lui occasionnent des expériences douloureuses, et que, derrière chacune de nos aventures de vie, il y a une leçon morale à tirer qui élève l’âme et permet à Neale de se retrouver en posture de messager de Dieu, par le truchement des livres qu’il écrit. Ainsi, Neale a dû travailler avec des Noirs, afin de prendre conscience de l’inanité des attitudes racistes et intolérantes, et de travailler lui-même à diffuser des idées d’égalité et de tolérance. De même, les identités collectives (nationalité, religion, philosophie, race, sexe...) sont passées au crible et déclarées nuisibles dès lors qu’elles ont pour conséquence de rabaisser l’autre, de se considérer soi-même comme supérieur, et d’agir en conséquence pour dominer les autres. Krishnamurti, Wayne W. Dyer et Eckhart Tolle ne disent pas autre chose sur le caractère pervers de ces identités. L’insistance sur la nécessité de vivre l’instant présent et de ne pas s’encombrer du passé est également en rapport avec l’enseignement de ces auteurs.
Mais le livre de Neale présente des originalités :
• Parler avec Dieu, dans une conversation de bon ton, à bâtons rompus, n’est pas vraiment commun. Pourtant, Neale Walsch élimine les hypothèses concurrentes : ce n’est ni une hallucination, ni un dialogue avec son propre subconscient, ni même un entretien avec ce « Moi supérieur » que vous trouverez dans toutes les bonnes publications thérapeutico-spiritualistes qui foisonnent aux Etats-Unis. Pas de problème, c’est vraiment Dieu. Un peu dur à avaler malgré tout. D’autant que, comme par hasard, le Dieu qui parle résout positivement les souffrances morales, éthiques et théologiques que Neale trimballait depuis sa jeunesse : en gros, le côté rigide et répressif de la religion chrétienne. Comme par hasard, ce Dieu balaie d’un revers de main (???) les dogmes et la morale du christianisme pour identifier la liberté à Lui-même. Dieu n’a pas envoyé son fils sur terre, n’a pas de peuple élu... La note est salée au regard des tenants des monothéismes bibliques !
• On a du mal à croire que ce Dieu-là n’est pas (comme il l’a été pour Luther) une instance psychologique élaborée justement pour mettre un terme à ses doutes et à son inconfort moral et théologique. Dieu raconte exactement ce qu’il faut pour alléger la conscience de Neale.
• Ce Dieu affirme qu’il ne met à votre disposition que les moyens de vous découvrir personnellement, de vous réaliser, et, à partir de là, c’est vous qui faites vos choix. Même si vous êtes blessé, infirme à vie, torturé et autres joyeusetés, le Mal n’existe que par les décisions humaines, et ne peut être imputé à Dieu. Mieux, les souffrances, fussent-elles prolongées toute votre vie, sont juste une occasion de faire les expériences qui vous améliorent.
• Ce Dieu parle sur un ton assez « copain-copain », ce qui est encore plus insolite. D’où l’« amitié » que Neale pense pouvoir établir avec Dieu. Plus insolite encore, il parle du dernier bouquin spiritualiste paru, et énumère des noms de personnages, des faits d’actualité dont Neale est invité à tirer des leçons ou des exemples. Un Dieu qui cite Robert Heinlein, George Bernard Shaw, qui inspire la notion de « force » à George Lucas », ou qui compare ce que fait Neale au message sur l’état de l’Union aux Etats-Unis est un Dieu qui se tient très au fait des us, coutumes, modes et faits d’actualité propres à un pays. Son image de transcendance en prend un bon coup. Il rit, plaisante et encourage à rire.
• Habilement, ce Dieu est présenté comme compatible avec le spiritualisme New Age de ce début de XXIe siècle : ce n’est ni un Dieu jaloux, ni un Dieu méchant ; il ne punit pas ; il est compatible avec la réincarnation, tellement en vogue dans ces milieux : si on fait le mal, la punition consistera dans l’examen de conscience que l’on fait en visionnant sa vie, juste après la mort : on ne peut être plus en rapport avec la littérature concernant les expériences de mort imminente. Par contre, la notion de péché et de punition infernale en prend un bon coup, et du même coup les conceptions bibliques de péché originel et de culpabilité. Le judaïsme, le christianisme et l’Islam ont du souci à se faire, dans cette optique. Ce Dieu valide l’existence et la fonction du « troisième œil », et, du même coup, l’énergétique ésotérique indienne.
• L’ego, si généralement maudit dans les textes spiritualistes, est sauvegardé, ici, dans la mesure où il permet une bonne adaptation au monde (et, en particulier, d’accomplir la mission que Dieu vous a donné). Même la richesse et la belle vie s’en tirent bien, dans la mesure où on ne s’y attache pas et où on les utilise à bon escient. Dieu ne demande ni de massacrer son ego (si on n’y est pas attaché et s’il ne se gonfle pas abusivement), ni de vivre dans la pauvreté, ni de se pourrir la vie par une ascèse sans fond. Dieu veut que nous soyons heureux et fassions le bien.
• Dieu n’est pas une personne ; il n’a pas de sexe ; on peut sans problème lui parler directement, et même exiger de lui ce que l’on désire.
• Les trois niveaux de la conscience (superconscient, conscience, subconscient) sont intégrés dans cette vision.
L’exposé est séduisant, en ce qu’il aborde, en les résolvant de manière habile, toutes les questions morales et psychologiques à propos de la religion. Les réponses de Dieu aux interrogations de Neale ne sont pas forcément ni démagogiques, ni aisées à comprendre. Le raisonnement de Dieu est souvent assez subtil et d’une grande cohérence interne. Il multiplie les subdivisions, les catégories, les phases, les étapes, et parvient à faire coexister le sentiment d’une vérité unique et simple (Dieu est pur amour) et d’une complexité assez grande des démarches à accomplir afin de saisir et comprendre réellement cette vérité.
La nécessité de tuer des êtres vivants nuisibles est discutée, et Dieu se contente, à ce sujet, de n’imposer aucune règle de conduite : comme nous sommes Dieu, Dieu est la décision que nous prenons à ce sujet. De toute façon, tuer semble illusoire : la vie éternelle nous est garantie d’office. Plus généralement, le bien et le mal n’existeraient pas en eux-mêmes ; ils ne dépendraient que de l’état de conscience de celui qui juge. En particulier, il faut bénir même ses ennemis.
On appréciera le fait que les conseils donnés par Dieu pour se rapprocher de Lui ne diffèrent guère de la suggestion de méditer un peu chaque jour : être en silence, sans pensée, aussi souvent que cela est possible. Eckart Tollé ne dit pas autre chose.
La conclusion du livre est de fort bon conseil, spécialement aujourd’hui : il faut arrêter de considérer que notre option religieuse, culturelle, politique, économique... est la meilleure, ce qui nous conduit à entrer en compétition avec les autres civilisations et à les affronter. Nous sommes tous UN. En attendant, Dieu nous promet une période de chaos qui précédera le moment où nous aurons enfin compris comment ne faire qu’Un à l’échelle humaine. On se permettra d’être sceptique sur l’affirmation de Dieu aux termes de laquelle nous avons tout ce qu’il faut sur notre planète pour vivre parfaitement bien, la pauvreté ne serait qu’une question de mauvaise répartition des richesses. Ce credo optimiste et irréaliste fait bon marché de l’épuisement accéléré de toutes les ressources non renouvelables, et le chaos – et déjà à l’œuvre – n’est pas qu’une question de susceptibilité maladive et d’orgueil sur la qualité de sa propre civilisation. Il est bel et bien lié aux guerres qui ont pour objectif de contrôler les quelques miettes de certaines ressources qui restent encore.
Mais le petit discours moral conclusif de Dieu est une simple paraphrase de certains enseignements évangéliques. On aurait souhaité plus d’inédit en cette partie de l’ouvrage. Et aussi moins de liens visibles avec le christianisme, au moment même où on nous dit qu’aucune religion n’est meilleure qu’une autre.
Avec qui Neale Walsch s’entretient-il, on laissera à chacun le soin de se faire une opinion. Il est vrai que ce livre a une fonction thérapeutique pour son auteur lui-même : le libérer d’une conception d’un Dieu sévère et jaloux qui le surveille et le punira s’il se conduit mal. Même si ce type de témoignage peut aider certains lecteurs à se sentir mieux dans la vie, on reste choqué par l’impression bizarre que Dieu puisse parler avec nous, comme un copain. Déjà, parler avec un esprit autour d’une table tournante, c’est tout de même un peu exotique, alors avec Dieu lui-même....