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L’essai propose des micro-lectures – une petite dizaine de pages de commentaire à chaque fois, mot par mot ou groupe de mots par groupe de mots – de quatorze incipits classiques, d’un autre censément appelé à le devenir et, en guise d’« interlude[s] » un peu condescendants, d’encore deux autres d’auteurs oubliés et d’un titre de roman jamais écrit (1). (Si mes souvenirs sont bons, l’une au moins de ces micro-lectures a paru sous forme de chronique dans le Magazine littéraire, dont Laurent Nunez a été rédacteur en chef.)
Au cœur de l’Énigme des premières phrases figure l’idée, à laquelle je suis profondément attaché, pour ne pas dire arrimé, en tant que lecteur, cette idée que dire autrement, c’est dire autre chose. Je la considérerai toujours comme le fondement – ce qui sert à s’asseoir, oui – de la littérature. (Toujours à titre personnel, j’aime mieux les analyses d’Andromaque ou de « La servante au grand cœur… » que celles de Zazie dans le métro ou du Ravissement de Lol V. Stein, parce qu’aussi je préfère Racine et Baudelaire à Queneau et Duras.) En filigrane se croisent trois autres idées, auxquelles je suis également attaché et qui n’ont rien de personnel : d’une part ce n’est pas parce que l’auteur n’a pas voulu écrire une chose, que le lecteur ne doit pas la lire ; d’autre part, plus un texte est ambigu, plus il est riche ; enfin (voir le début de l’étude de « Chantre » d’Apollinaire), la poésie n’exclut pas le commentaire.
De fait, les mauvaises langues diront que Laurent Nunez ne propose rien que le titulaire d’un master en lettres modernes ne puisse proposer ; ce ne serait pas entièrement faux. En échange, le recueil a l’immense mérite de ne pas transformer les incipits choisis en purs prétextes à théorie. Il y a ici de la réflexion sur la littérature – la moindre des choses ! –, mais les extraits sont abordés sans-jargon-pour-le-jargon, et avec suffisamment de bon sens pour que l’ensemble soit convaincant, y compris aux yeux du lecteur curieux mais non spécialiste. Surtout, les angles d’attaque sont variés : tantôt la stylistique, tantôt la grammaire, tantôt l’histoire littéraire, tantôt la versification, tantôt l’étymologie, et même quelques passages « à la Sainte-Beuve », mais toujours cela est lié et jamais cela n’est gratuit, dans la mesure où il s’agit d’une quête du sens.
Cela dit, je recommande de ne pas lire l’Énigme des premières phrases d’une traite : ça doit finir par être un peu assommant.


(1) Respectivement : Andromaque de Racine, Dom Juan de Molière, les Confessions de Rousseau, « La servante au grand cœur… » de Baudelaire, Bouvard et Pécuchet, Germinal, « Salut » de Mallarmé, « Chantre » d’Apollinaire, À la recherche du temps perdu, les Faux-monnayeurs, l’Étranger, Zazie dans le métro, « La Halte de Collioure » d’Aragon, le Ravissement de Lol V. Stein ; Louis-René des Forêts, roman de Jean-Benoît Puech ; « Les Vrais Riches » de François Coppée et Nêne d’Ernest Pérochon ; et Vita Nova de Barthes.

Alcofribas
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le 27 avr. 2017

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