ཇོ་མོ་གླང་མ La déesse mère du Monde

Depuis que l'homme est "sapiens", il n'a jamais cessé de vouloir découvrir ce qui se trouvait de l'autre côté de la colline ou de la rivière. Pendant des millénaires ceux qui partaient ne revenaient pas raconter ce qu'ils avaient trouvé, ou s'ils le faisaient, ils ne possédaient pas l'écriture pour transmettre aux générations suivantes le récit de leurs aventures.
Cela permit aux hommes, générations après générations d'explorer des contrées lointaines et mystérieuses. Ils découvraient ainsi des pays, des iles, des continents peuplés d'hommes qui les avaient découvert avant eux.
Notre besoin d'aventures et de rêve pouvait se satisfaire.


Aujourd'hui, nous avons des cartes de toute la planète. Il n'existe plus de zones blanches. L'espoir de trouver l'ile mystérieuse (Jules Verne) ou l'ile du crâne (King Kong) a disparu. Mieux encore, il nous suffit d'allumer notre ordinateur et de plonger dans "Google earth" pour visiter les endroits les plus reculés de la jungle amazonienne, du désert du Karakoum ou les immensités glacées de l'Antarctique. La télévision nous a montré des images filmées par des robots au plus profond de la fosse des Mariannes. En 1969, nous avons regardé Armstrong et Aldrin marcher sur la Lune.
Notre civilisation ne soufre-t-elle pas de ne plus pouvoir offrir d'aventure, de rêve ni de conquête? L'aventure spatiale parait un rêve bien trop lointain pour nous donner un élan.


Ce ne fut pas toujours le cas. En 1830, les anglais fondent la Société londonienne de géographie qui deviendra la Royal Geographical Society, une institution très victorienne. Cette association se donne pour objectif de découvrir, explorer et cartographier les régions inconnues de la planète. Parmi l'interminable liste d'aventuriers parrainés par la RGS, vous trouverez des noms aussi fameux que Charles Darwin, David Livingstone, Robert Falcon Scott, Richard Francis Burton, Henry Morton Stanley (encore que ce dernier fut surtout diligenté par le New York Herald), Ernest Shackleton, etc...


Après que Roald Amundsen ait atteint le pôle Nord et mis le pied sur le continent Antarctique, il ne restait guère que les plus hauts sommets de la planète qui fussent encore vierges.


"L'histoire de l'Everest a commencé le jour ou un obscur secrétaire de l'Indian Service, ayant devant lui d'innombrables colonnes de chiffres, s'écria: "J'ai trouvé la plus haute montagne du globe." C'était en 1852.
On baptisa le sommet mont Everest, du nom de Sir Georges Everest, premier "Surveyor of India". Son nom local est Chomo Lungma, qui veut dire "Mère déesse des neiges"."
Extrait d'un article du Monde du 7 Mai 1953


En effet, dans leur incroyable arrogance, les anglais ont donné le nom d'un de leurs fonctionnaires dont on aurait sans cela oublié l'existence, à cette montagne qui était déjà connue sous un nom tibétain: Chomolungma, qu'on traduit aujourd'hui par "Déesse mère du Monde". N'y a-t-il pas de nom plus approprié?


En 1919, Sir Francis Youghusband devient président de la RGS. C'est un anglais né aux Indes, explorateur, diplomate, écrivain et philosophe. Il est un des rares européens à avoir pu visiter le Tibet. Il a déjà écrit plusieurs livres de ses aventures. A peine élu et malgré l'opposition des cartographes, il propose de monter une expédition pour vaincre l'Everest. Il fonde le Comité de l'Everest en associant la Royal Geographical Society à l'Alpine Club, les explorateurs scientifiques et les sportifs. Il en prend la présidence et organise l'expédition, obtient les autorisations du gouvernement indien et du Tibet avec l'aide du vice-roi des Indes, demande la mise en disponibilité des profs (Mallory, Irvine...), des militaires et autres fonctionnaires . Le Comité recrute les meilleurs grimpeurs, des officiers du Survey of India (cartographes, botanistes, géologues, zoologues...). Une expédition victorienne dans toute sa splendeur!


Younghusband, âgé reste à Londres et confie la direction de l'expédition au colonel Howard Bury. Après chacune des trois expéditions, plusieurs participants écriront le récit de leurs aventures, mais F.Y. est le seul à avoir accès à tous les écrits et rapports. Il est aussi le seul à avoir une expérience d'écrivain. Son livre raconte de l'extérieur les trois expéditions. Il est complet, très complet peut-être un peu trop...mais illustré par des photos.


Au mois de Mai 1921, tout le monde se retrouve à Darjeeling pour le départ avec de nombreux porteurs. Il leur faudra un mois pour atteindre Tingri à 70 kilomètres de l'Everest. L'auteur nous décrit le voyage d'abord dans les jungles des vallées tropicales des pieds de l'hymalaya, puis la végétation, la faune et la flore se modifient au fur et à mesure que l'on s'élève vers les plateaux désertiques froids et ventés du Tibet. Consciencieusement, F.Y. nous décrit tout. Heureusement, l'écriture est légère et il ne s'attarde pas non plus sur les détails, mais n'espérez pas trouver de l'humour. Victorien, on vous dit!


Cette première expédition se limitera à rechercher par les différentes vallées qui descendent de l'Everest, la voie qui permettra à une expédition ultérieure de monter au sommet. Vaincus par le vent, ils prirent le chemin du retour en fin Septembre, mais ils avaient trouvé la voie (non, nous ne sommes pas dans "Le lotus bleu"). De la vallée de Kharta (3750 m), ils étaient montés au Hlapka La (6812 m), redescendus sur le glacier oriental de Rongbuk pour monter enfin au fameux Col Nord (7020 m), clef de l'accès au sommet depuis le versant tibétain. Chaque progrès leur révélait de nouveaux obstacles et les obligeait à de nouveaux détours.
Ils avaient aussi compris que la pire difficulté viendrait de l'altitude et du manque d'oxygène. Mais les anglais avaient déjà connu les expéditions arctiques et les courses dans les Alpes: ils étaient déjà bien équipés contre le froid et pour l'escalade. Il ne leur manquait que l'expérience de la montagne à plus de 8000m d'altitude. Mais déjà se posait la question de l'oxygène. L'éthique des grimpeurs s'opposait à l'usage de bouteilles. Les médecins de l'époque pensaient que le corps humain ne pouvait fonctionner à cette altitude sans un apport en oxygène.
Certaines réflexions faites à ce sujet ont une valeur prophétique: "Mais un fait restait: celui qui monterait l'Everest sans oxygène serait considéré comme ayant accompli une action plus belle que celui qui monterait en utilisant l'oxygène ... nous jugerions son exploit moins grand que s'il s'était servi seulement des stimulants ordinaires." Il parle là d'une goutte d'eau de vie, d'une tasse de bouillon et de thé (so british).


1922 et 1924 sont les vraies expéditions lancées pour vaincre la montagne. C'est là que l'aventure commence vraiment. le colonel Bury qui avait donné toute satisfaction est remplacé par le général C.G. Bruce. La direction de l'équipe d'assaut est confiée au colonel E.L. Strutt (une expédition victorienne qu'on vous dit!). C'est au cours de ces deux expéditions que le drame atteindra son paroxysme avec ses difficultés, ses souffrances et des hommes qui se surpassent pour la conquête d'un rêve.
Ces deux expéditions montreront que le corps humain s'adapte à la raréfaction de l'oxygène et que ceux qui se sont adaptés se montrent plus performants que ceux qui en font usage. On peut donc se demander pourquoi on a continué si longtemps à l'utiliser.


Je ne vous en dirai pas plus, sauf à vous citer le passage à l'origine du plus grand mystère de l'Everest:
"La grande question qui demeure: Mallory et Irvine ont-ils atteint le sommet?
Quand Odell les vit pour la dernière fois, ils avaient un retard considérable. Il était 12h50, et ils étaient alors à deux cent cinquante mètres au moins, peut-être trois cents du sommet."
Dans son introduction F.Y. dit aussi: "Mallory et Irvine, furent "vus pour la dernière fois marchant d'une allure soutenue vers le sommet" et que le sommet n'étant plus éloigné que de deux cent quarante cinq mètres, ils ont pu s'en approcher de très près, et peut-être l'atteindre."


75 ans plus tard, on a retrouvé le corps de Mallory à peu près où il avait été vu pour la dernière fois. Sont-ils morts en montant ou en redescendant? Nous ne le saurons sans doute jamais.


29 ans après leur mort, un éleveur de moutons néo-zélandais Edmund Hillary et le sirdar Tensing Norgay dilligentés par le même Comité de l'Everest atteignaient le sommet de la Chomolungma. Quoiqu'on puisse découvrir par la suite, ils resteront les vainqueurs du toit du monde, car on ne peut être vainqueur si l'on est vaincu par la montagne.

-Marc-
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le 8 avr. 2017

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