Publiés en 1944 et 1945 par un chercheur allemand exilé aux États-Unis, ces deux articles de psychologie sociale, « L’Étranger » surtout, ont d’évidentes connotations autobiographiques. Alors que le propos du premier est « d’étudier, dans le cadre d’une théorie générale de l’interprétation, la situation typique dans laquelle se trouve un étranger lorsqu’il s’efforce d’interpréter le modèle culturel du nouveau groupe social qu’il aborde et de s’orienter en son sein » (p. 7 aux éditions Allia), « L’homme qui rentre au pays » s’attache principalement à la figure du vétéran de guerre.
Sans rentrer dans les détails des thèses que Schütz avance, et défend plutôt pertinemment, disons que les démonstrations s’y font pas à pas : on avance lentement et sûrement. Mais en une trentaine de pages, on n’avance pas très loin : certes, « ce n’est certainement pas le lieu ni le moment de nous embarquer dans une analyse des problèmes philosophiques très compliqués du temps, de la mémoire et de la signification » (p. 61, dans « L’homme… ») mais un observateur attentif du monde contemporain ne trouvera pas dans ces deux essais de remarques véritablement neuves. Autrement dit, formulées en termes de psychologie sociale, ces analyses ont le double – et crucial – mérite de la clarté et de la précision lexicale, mais ne proposent rien de véritablement éblouissant.
« C’est dans ce texte – précise la postface – qu’il [Alfred Schütz] présente pour la première fois ce qui va devenir une sorte de lieu commun de la sociologie du XXe siècle, à savoir la distinction entre la rationalité subjective et de premier degré de l’acteur social et la rationalité scientifique et de second degré du sociologue » (p. 75). C’est sans doute vrai ; là-dessus, je fais confiance à Bruce Bégout. Mais j’ai trouvé que cette distinction allait ici de pair avec une forme de sentiment de supériorité de l’auteur par rapport à son objet d’étude – quand bien même il est partie intégrante dudit objet d’étude.
Sans que ces deux essais soient ni totalement désuets, ni totalement dénués d’intérêt, ils sont sans doute désormais moins à lire comme des textes de psychologie sociale que comme des documents sur l’histoire de la psychologie sociale.

Alcofribas
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le 3 sept. 2017

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