Quand un homosexuel doit démontrer qu'il n'est pas homophobe, on sait direct qu'on va entrer dans un débat passionnant, où il va falloir s'accrocher à tous les arguments exposés pour ne pas perdre le fil et se retrouver balloté entre ses certitudes et ses opinions. Ici, Philippe Arino remet tout sur le tapis, à savoir sa définition de l'homosexualité, et en quoi la société développe une vision faussée de l'orientation, à la fois dans le milieu homosexuel et dans la société occidentale en général. Après les essais de Pasolini (les Ecrits Corsaires), nouveau séisme dans ma bibliothèque.


Le livre est court (moins d'une centaine de pages) et extrêmement condensé (au moins une à deux idées fortes par pages), au point qu'on suppose qu'il s'agit d'un récapitulatif de la pensée de l'auteur, développée dans deux gros pavés (Homosexualité intime et Homosexualité en société, accompagnés du Dictionnaire des codes homosexuels). Il se présente sous la forme d'un guide par questions-réponses. On pourra dégager plusieurs idées centrales qui cimentent la pensée :
-Le désir homosexuel existe, contrairement à l'identité homosexuelle (pas de gène déresponsabilisant/justificatif, la sexualité est évolutive...)
-Le monde n'est pas divisé entre homo et hétéro (et autres minorités) mais entre homme/femme. L'auteur en profitera pour redéfinir aussi l'hétérosexualité, qui englobe les désirs homme-femme non reproductifs.


En partant de ces deux principales idées qui marquent les premières pages (davantages détaillées et développées), l'auteur s'attache tout d'abord à rétablir le lien entre homosexualité et l'inachèvement, la blessure. En prenant soin de ne pas établir de causalité systématique, il rappelle que 45% des femmes bi-homo ont subies des attouchements (contre 14.9% de femmes non bi-homo) et 23% des hommes bi-homo (contre 3.9%). Que de nombreux homosexuels ont subis des pressions dans leur entourage au cours de leur apprentissage de la vie. Que la censure pro-LGBT essaye de censurer ce lien entre homosexualité et blessure sous couvert d'éviter la honte et le rabaissement. Ainsi, la souffrance liée à l'homosexualité est niée à la base, ce qui est pour l'auteur l'un des visages réels de l'homophobie. Or la société encourage de plus en plus l'homosexualité.



Au nom des drames réels dont le désir homosexuel est le signe, la société n'a pas à applaudir ou banaliser l'homosexualité.



Une fois que la bombe est lâchée, l'auteur a le champ libre pour développer toutes les conséquences de ces constats. Le fantasme du viol récurrent dans l'homosexualité (très présent dans la pornographie), les piliers du Réel humanisant peu à peu remis en cause (respect de la différence des sexes, des générations, des espaces), les caractéristiques du désir homosexuel (il avance 7 points différents tous assez incisifs, j'ai surtout retenu le désir d'être objet et le désir de fusion (jumeau de l'hétérosexualité)), l'homophobie réelle (dimension sexuelle trouble dans les agressions homophobes, la bisexualité asexualisante qui formate à société dans un conformisme sexuel stérile et monotone...). En bref, il développe des dizaines d'idées pertinentes sur les phénomènes sociaux provoqués par ou en lien avec l'homosexualité, en prenant soin de replacer l'objectivité et la Vérité au coeur du débat. Car pour promouvoir l'homosexualité, on a remplacé la Vérité par la Sincérité (s'ils s'aiment, alors ça peut marcher). Philippe Arino ressort, à grand coup de statistiques et d'expériences personnelles (il s'inclue toujours dans son propos) des constats brutaux sur l'échec global de la promotion de l'identité homosexuelle et de l'amour homosexuel en société, à tous ces niveaux. Ainsi, dans le cadre du mariage pour tous, il préfère revenir sur l'échec du PACS (qui augure de l'échec du mariage sur les prochaines années, car c'est une loi politique qui ne règle pas les problèmes fondamentaux), et sur l'échec plus général du couple homosexuel à satisfaire durablement tout en étant fructueux (en moyenne, 6.6 partenaires différents pour les femmes homo et 15.4 pour les hommes). Les PMA-GPA sont également évoquées, sous le signe d'un progressisme irresponsable imposé par le mythe de l'égalitarisme (tout se vaut, peut importe la réalité objective). Encore une fois, tous ces points sont plus longuement développés.


Il y a encore beaucoup de matière à étudier et le temps me manque, je me contenterai de régurgiter quelques idées fortes :
"on préfère croire en la sincérité de l'amour de l'autre pour oublier le mal que l'on se fait", "l'Histoire démontre que les sociétés qui promouvaient l'homosexualité l'ont ensuite violemment diabolisée" (et en cela, je vous renvoie à l'histoire du berlin homosexuel des années 1920-1930), "je pourrais parler sans fin du nombre d'homosexuels qui haïssent le milieu gay et se définissent hors-milieu tout en restant actif et à la recherche de partenaires."...


Nul doute que les détracteurs de cet essayiste se baseront surtout sur la fin de l'ouvrage pour dénoncer une partialité (Philippe Arino y développe sa vision du bonheur par la religion catholique, sans exclure totalement le couple homosexuel d'un chemin possible vers le bonheur). Si le sujet me parle, je suis moins doué pour résumer une pensée habitée par la Foi. Il prône pour résumer une vision objective de l'homosexualité, reconnaître les personnes avant les comportements ou les actes (les personnes qui ont un désir homosexuel, et pas les homosexuels), et une recherche du meilleur (plus adaptable à chacun qu'une recherche d'un Bien écrasant et exclusif). Désireux d'enrichir son sujet (et conscient du fait que la spiritualité n'est pas au coeur des préoccupations de tous ses lecteurs), Philippe Arino fait un portrait du milieu associatif LGBT catholique (souvent catalogué sous l'étiquette des "honteuses"), dépeint sa vision de la culture homosexuelle, replace dans son contexte le cinéma lgbt souvent idéalisé et non focalisé sur les enjeux réels du quotidien... En bref, une excellente synthèse de la pensée de son auteur, et un manifeste brûlant sur la communauté homosexuelle (et pas contre elle), assurément en dehors des sentiers (re)battus du politiquement correct.


Un petit lien vers une interview pour davantage de matière : http://www.publicroire.com/cahiers-ecole-pastorale/presentation-de-livres/article/l-homosexualite-en-verite-mon-identite-et-mon-chemin

Voracinéphile
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le 28 juil. 2017

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