Depuis au moins la fin du XIXè siècle, le catholicisme en butte à la modernité s'est doté de moyens théoriques et d'institutions en charge à la fois de contrer les mouvements intellectuels de laïcisation de la société et d'adapter son magistère aux nouvelles demandes des clercs et des laïcs. Si le Magistère a le plus souvent fait preuve de fermeté, dans l'esprit de la réactivation du thomisme par Léon XII (Encyclique Aeterni Patris de 1879).

Dans les premières décades du siècle, la toute jeune psychanalyse pose à l'Eglise un problème redoutable : elle répond à la fois à l'intérêt des milieux romains pour les sciences psychologiques comme aide au discernement en matière de vocations ; et à son inquiétude de voir progressivement lui échapper son pré carré, à savoir le soin des âmes. L'histoire de la réception de la chose freudienne ne peut dès lors qu'être une histoire nuancée, celle d'une négociation des limites entre ce qui est catholiquement recevable par et ce qui ne l'est pas. C'est cette huistoire, jusqu'au lieu des années 60, que raconte l'auteure, dans une langue sobre reprenant un plus imposant travail de thèse soutenu en 2009.

Si l'Eglise fut d'emblée méfiante, la première acculturation de la psychanalyse fut l'oeuvre d'un maritanien français, Roland Dalbiez, qui imposa d'emblée la distinction, très longuement discutée par la suite, entre doctrine et méthode. Si la doctrine freudienne rebute par son athéisme à l'esprit catholique, la méthode présente des intérêts dont elle aurait tort de se priver, en matière notamment de discernement des authentiques grâces mystiques, que le freudisme permet de différentier des décompensations hystériques ou psychotiques.

Découvrant la psychanalyse, l'Eglise se confronte également avec la disparité de ses lieux théoriques. La seconde topique (Moi/ça/surmoi) déplace après guerre le débat sur le champ moral, l'enjeu étant d'assurer l'autonomie de la notion de culpabilité - et doc de péché - par rapport à une culpabilité "seulement" psychologique. L'accent mis sur les instincts, auparavant regardé d'un oeil bienveillant, inquiète désormais, appelant des réponses variées, issues de Jung, Adler ou le testing américain, voire de courants inspirés de la philosophie des valeurs (Scheler) très prisés par Pie XII. Les résistances se font jour des deux côtés : dans l'Eglise, contre la psychanalyse, perçue comme sécularisation fétide de l'âme ; chez les laïcs - dont certains médecins chrétiens - , plus respectueux de l'autonomie de la pensée scientifique.

L'ouvrage s'attache à tracer la complexité à la fois des expérimentations effectués au sein même de l'Eglise par ses clercs et des réactions le plus souvent prudentes, mais progressivement plus sévères - avec mis à l'index à la clef - des instances vaticanes. Si l'auteure, en bonne historienne, ne donne pas raison à telle tendance plutôt que telle autre, elle laisse entendre néanmoins une préférence discrète pour les tentatives plus inclusives et moins défensives. La chronologie globale du plan est localement prise en défaut par le choix d'analyses thématiques, rendues intelligibles par la diachronie qui leur est propre. On peut en perdre par moment la vision synchronique, mais quelques rappels d'éléments de paragraphes antérieurs permettent assez bien de raccrocher les wagons. De nombreux résumés et une conclusion synthétique permettent de dégager le sens d'une histoire complexe dans laquelle la position de l'Eglise s'est longuement cherchée et n'est pas univoque (en témoignent les débats complexes menés à l'occasion de Vatican II). On lira tout cela avec intérêt, pourvu qu'on ait une sensibilité à l'histoire de l'Eglise contemporaine, à l'histoire de la réception de psychanalyse ou de façon plus large, à la façon dont se diffuse les savoirs (théoriques et pratiques) dans un groupe social donné, et les jeux de pouvoir que cela implique.
Kliban
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le 30 déc. 2011

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