Dagur Hjartarson prouve qu'il est encore possible en 2019 d'écrire un très grand texte romantique.


Que la poésie amoureuse existe encore et peut gracieusement se faufiler entre les lignes d'un roman. Que l'idéalisme, l'amour qui aime sans mesure, le ravissement face au monde sont encore des notions d'actualité au IIIème millénaire.


Imaginez que Woody Allen et Boris Vian aient revisité à la sauce islandaise le scénario de '500 days of Summer' mâtiné de 'Eternal Sunshine of the spotless mind'.


La dernière déclaration d'amour, c'est cette chronique drôle, tendre, passionnée, et loufoque d'un amour fou pourtant voué à la perdition (ainsi que l'annonce le titre). L'histoire pleine d'humanité d'une amitié farfelue (entre le narrateur et l'électron libre Trausti) , d'une statue d'argile de David Oddson (seul élément qui m'aura malheureusement laissée sur la touche, à mon grand regret, même si j'y décèle une référence biblique) qu'on sculpte en refaisant le monde, en fomentant la révolution (et qui figure sans doute la bataille du temporel et du spirituel).


J'émerge très émue de ces 303 pages découpées en courts chapitres aux titres à haute teneur en poésie (De l'insignifiance totale des roses, Les ténèbres du mois d'août..), superbement rendues par la traduction exceptionnelle de Jean-Christophe Salaün, qui parvient à restituer toute la délicatesse, la sensibilité et l'autodérision irrésistibles de cette voix venue des fjords.



Allongé, parfaitement éveillé, je songeais à la fugacité du bonheur, sans toutefois parvenir à saisir l'élan poétique qui accompagne habituellement de telles considérations.



Qu'y avait-il dans l'attitude de ce jeune homme (...) pour attiser en moi ces émotions qui font la fortune des auteurs de livres de développement personnel comme des fabricants d'armes ?



Une écriture colorée, sensorielle et sensitive, pleine de trouvailles métaphoriques magnifiques, sans excès ni effet de manche ni mièvrerie.
Je retiendrai le chapitre Notre aurore boréale, comme l'un des plus beaux.



Je balaie une mèche de cheveux de mes yeux, regarde un peu plus longuement le ciel, cet ami aux yeux bleus qui n'a aucune réponse pour les hommes en proie à un chagrin d'amour.



C'était à l'époque où les jours étaient comme un instant qui ne s'achève jamais. Comme une simple inspiration. On commence toujours par inspirer-- c'est à dire aimer- avant d'expirer : alors apparaissent les mots qui deviendront un roman. Les romans sont des soupirs.



C'est bien simple : presque toutes les muses se sont penchées sur le berceau de ce roman. On y trouvera la musique du verbe, la poésie du sentiment, la tragédie d'une main reprise, l'éloquence de la répartie, la comédie amicale, la danse du cœur et ses sursauts, et même quelque part, la contemplation astronomique de la beauté du monde. Car rappelons-le : Dagur Hjartarson est avant tout poète (avant de publier ce premier roman, il avait écrit des recueils) et cette manière de percevoir le réel file absolument tout le texte (voir notamment le chapitre Mille lambeaux de nuages, somptueux)


Ce regard lent et doux posé sur la réalité et ses merveilles, cette attention aux détails, ces fulgurances sur les cheveux de l'aimée, son sommeil, ses yeux, sont autant de marques d'une façon poétique d'habiter, de recevoir le monde. De vivre l'amour.



[Kristin apparaît dans un manteau bleu] la fille que j'aimais, enveloppée de la beauté du ciel.



J'écoutais souvent le bruit de ses pas. Il était plus doux que l'aube naissante.



(...) le monde, à l'extérieur, s'abîmait dans les ténèbres qui caractérisent les lieux où Kristin n'est pas.



Il y a aussi ce métatexte permanent, ces incursions de l'auteur dans ce qu'il écrit, ces remarques parfois gentiment moqueuses sur son écriture et qui sont autant de signes que l'auteur ne se prend pas au sérieux :



Elle sourit, comme les femmes le font dans les romans des mauvais écrivains



Et puis, il y a les histoires d'amour qui se dispersent en poèmes ou s'agglomèrent et enflent dans ces trous noirs qu'on appelle romans



Il y a aussi cette manière singulière d'écrire, notamment les dialogues, qui laissent place à la créativité et à l'imagination du lecteur :



[Quelque chose sur le scintillement des étoiles et les ténèbres qui les séparent]
[Quelque chose sur le fait qu'une nuit peut guérir le monde]



Sous ses dehors sentimentaux, ce texte sublime soulève des questions à la fois contemporaines (liées à la crise financière ou à l'écologie) et universelles : comment fixer et comprendre le visage des hommes ? Garder vivace l'amour ? Que faire face à l'inconstance du cœur humain ? Face à l'évanescence des liens ? Toujours cette satanée insoutenable légèreté de l'être..



(...) Kristin, toujours ceinte de ce halo de poésie qui enveloppe parfois le monde. Ce que j'aimais cette flamme qui brûlait dans ses yeux. Ce que j'aimais le fait que, au nom de son engagement, elle autorise ses cheveux d'un blond solaire à flotter au vent- un million de fils d'or, tout le stock de la Banque centrale réuni au point d'intersection de mon amour.



Un roman lumineux et bienveillant, pétrie d'humanité, d'une beauté à pleurer et qui donne envie de célébrer ce miracle qu'est l'amour. Un roman qui invite à penser que gaieté et mélancolie ne sont pas incompatibles mais qu'au contraire, elles se complètent, s'enrichissent et permettent d'appréhender le monde avec un supplément d'âme.


Le titre n'est pas mensonger : La dernière déclaration d'amour est un roman éminemment romantique, traversé d'une pointe de tristesse mais aussi d'un humour d'une grande finesse. Un roman à rouvrir au hasard pour relire, émerveillé(e), certains passages bouleversants, aussi beaux et lointains qu'une photographie prise depuis l'espace.


English version


Dagur Hjartarson proves that it is still possible in 2019 to write a remarkable romantic text. That love poetry still exists and can gracefully sneaks into the the lines of a novel. That idealism, boundless love, rapture when looking at the world are still current notions in the 3rd millenium.


Imagine Woody Allen and Boris Vian revisiting with an icelandic twist (500) Days of Summer and Eternal sunshine of the spotless mind. "The last declaration of love" is that funny, tender, passionate and zany chronicle of a crazy love sadly doomed to perdition (as announced by the title). It is as well the story full of humanity of a wacky friendship (between the narrator and the free electron Trausti), of a David Oddson's clay statue (the only thing that left me on the side, to my great regret, even if detect here a biblical reference) getting sculpted while trying to change the world and fomenting revolutions (the statue may figure the opposition between temporal and spiritual).


Very moved I am, emerging from these 303 pages, divided into small chapters poetically entitled (De l'insignifiance totale des roses, Les ténèbres du mois d'août..), superbly rendered by JC Salaun's exceptional translation that restores the delicacy, the sensitivity and the irresistible self-derision of that voice from the fjords.


A colorful, sensorial and sensitive writing, full of wonderful metaphorical finds, without excess, nor histrionics nor affectation at all. I'll remember as one of the most wonderful the chapter called "Our aurora borealis". It is pretty simple : all the fairies leaned over that book. You'll find music of the Verb, poetry of the feelings, eloquence of repartee, tragedy of a withdrawing hand, friendly comedy, dance of the heart's movements, and even somewhere : the astronomical contemplation of the world's beauty.


Cause, let's remember something : Dagur Hjartarson is first and foremost a poet (before that novel, he published poems) and that way to perceive reality fills the whole text (see specifically the lavish chapter called "A thousand cloud's tatters")
That soft and slow look at the world and its wonders, that attention to details, these stroke of genius about the beloved's hair, her sleep, her pace, her eyes, are marks of a poetical way to inhabit and receive the world. To live love.


There are also reflexions about writing, with frequent incursions of the author in his own work, his remarks gently mocking his talent are the signs that the writer doesn't take himself very seriously. I noticed a singular way of writing, especially in the dialogs, that leaves room to reader's creativity and imagination.


That sublime text also raises contemporary (financial crises, ecology) and universal questions : how to understand human's faces ? Keep love alive ? What do we do with human's heart inconsistency ? Still that evilish Unbearable Lightness of Being…


A benevolent and luminous novel, full of humanity, of heart-wrenching beauty, that makes us want to celebrate the miracle of love. A novel which invites us to think that joy and melancholy are not uncompatible but quite the opposite ! they complete and enrich each other and allow us to take the world in with more soul.


The title doesn't lie : The last declaration of love is an eminently romantic novel, with a small pinch of sadness and a fair share of humour. A novel that I'd like to randomly re-open from time to time, just to read, amazed, a few assages which are "as beautiful and distant as a photograph taken from outer space".

BrunePlatine
9
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le 17 janv. 2020

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