Le nouveau roman d'Eshkol Nevo est une pépite littéraire. Rien d'étonnant pour ceux qui suivent l'écrivain israélien depuis ses débuts mais La dernière interview se démarque de ses livres précédents par l'originalité de son point de départ. Tout au long de l'ouvrage, le narrateur répond aux questions d'internautes, lesquelles se révèlent plutôt attendues et banales. Mais cette "interview" n'est qu'un prétexte pour raconter la vie agitée d'un écrivain en proie à une athymie (entre l'apathie et la dépression) alors que son meilleur ami lutte contre le cancer, que son couple bat de l'aile et que ses enfants lui causent bien des tourments. C'est le bon moment pour une auto-analyse qui surfe avec agilité entre présent morose et souvenirs du passé (un voyage initiatique en Amérique du Sud, les moments-clés de sa relation avec sa compagne, son évolution comme auteur, etc.). Tout lecteur se posera évidemment la grande question : cet écrivain est-il Eshkol Nevo, oui ou non ? La réponse est : peut-être, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout. Certes, il est question du grand-père de Nevo qui a bien été un homme d’État ; certes, la virée en Amérique Latine est réelle, etc. Mais bon, l'auteur de La dernière interview est très habile à maquiller la fiction en vérité et inversement, alors ... Qu'importe, le livre est magnifique, slalomant avec style et fluidité au milieu des flashbacks et traitant d'un nombre incalculable de sujets avec aisance et élégance : l'amitié, l'amour, la politique, le statut d'écrivain, la mort ... C'est le genre de bouquin que l'on peut lire d'une traite comme un polar psychologique ou plus lentement, pour le plaisir de le retrouver et d'en savourer la progression. Le narrateur passe par tous les états et le lecteur itou : du rire aux larmes, pour reprendre un bon vieux cliché. Nevo est par exemple passionnant quand il évoque la façon dont un écrivain se nourrit des événements de sa propre vie et vampirise celle de ses proches pour alimenter ses livres, au risque de se fâcher durablement avec eux. Quant aux dialogues du roman, ils sont éblouissants et d'une incroyable drôlerie (la conversation avec le psychologue au sujet du plus jeune fils de l'auteur), se transformant en psychodrame hilarant. Est-ce le meilleur livre d'Eshkol Nevo ? Difficile à dire, tellement il a placé la barre très haut, sans jamais décevoir. Son plus personnel, alors ? Oui, sans doute, et le plus cathartique, quoique avec lui, rien n'est jamais sûr et c'est bien pour ce jeu entre fiction et réalité que La dernière interview est aussi réussi. Vivement la suite (un recueil de nouvelles ?) avec aussi la perspective de voir bientôt au cinéma l'adaptation de Trois étages par Nanni Moretti.


Un grand merci à Babelio et à la maison Gallimard pour m'avoir offert cette lecture en avant-première.

Cinephile-doux
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le 17 août 2020

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Cinéphile doux

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