Il y a deux jours, je jetais l'éponge après 140 pages de misère, de sable gluant et rapports humains exaspérants. Puis, pris de remords, je reprenais ce roman, et le terminais finalement sans problème. "La femme des sables" n'est pas un livre facile. Son sujet est à la fois austère et intrigant. Un instituteur féru d'entomologie est fait prisonnier par des villageois, qui le condamnent à vivre dans une maison entourée de falaises de sable, en compagnie d'une femme inconnue et étrange. Comme les falaises ne cessent de crouler, les deux captifs ne cessent de déblayer ce sable, que les villageois semblent récupérer pour on ne sait quelle entreprise.


La première partie du livre nous présente le calvaire de cet homme, qui n'est pas sans rappeler celui d'un certain Sisyphe. C'est cette partie que j'ai trouvée vraiment pénible, non pas tant par le supplice auquel notre instit est soumis, que par le portrait assez désagréable du protagoniste, les relations exécrables que lui et la femme entretiennent d'emblée. Ne cherchez pas de psychologie dans ce livre, elle est sommaire et agaçante. Ne cherchez pas non plus de portrait humain, car ni l'homme ni la femme ne sont ici de beaux sujets... Par contre cherchez-y une représentation de l'homme moderne face à son destin, ou face à l'exploitation et vous pourriez bien y trouver votre plaisir et le cap à suivre.


La deuxième partie montrera la révolte du prisonnier. Une révolte bien mal organisée, emplie d'hésitations, de mauvaises rationalisations, de calculs mal fichus. Une révolte comme la nôtre peut-être, qui blâme ceux qui n'y peuvent rien, qui se trompe de cible, pour se perdre dans un labyrinthe... Car quelle difficulté pour sortir de cette vie , de ce labeur incessant, qui ne profite qu'à d'invisibles geôliers. Dormir, manger , bosser, connaitre une relation intime imparfaite avec un être qu'on ne comprend pas, telle est la prison dont veut s'évader notre héros. Il y a de l'existentialisme dans ce livre disent certains, peut-être, il y a certainement un portrait cruel du labeur moderne (Kobo fit partie du PC japonais, ci-dit en passant)
La courte troisième partie de l’ouvrage termine sur sur une réflexion qui s'étale entre résignation et espoir, avec la construction du " piège à corbeau", ultime envol, et ultime dessein.


J'ai trouvé intéressant que le livre soit pris en sandwich entre deux rapports de police, imposant leur réalité bureaucratique à des faits extraordinaires dignes d'un Kafka (des extraits de journaux troublaient déjà le jeu). Coexistence maniaque entre le sacré, l’absurde et le terriblement mondain, voilà bien un portrait de la société japonaise. Enfin, sur le thème de la disparition il faut se rappeler que chaque année, des japonais disparaissent réellement dans un sous-monde de pauvreté et de marginalisation ghettoïsée assez effrayant (lire Homo Japonicus sur ce sujet étonnant) et donc il n'est peut-être pas surprenant de retrouver ce thème dans ce livre et plus tard dans l'oeuvre d'un Murakami par exemple.


Lecture qui m' a donné du fil à retordre, mais qui livre ses fruits si on évite de céder au marasme de la première partie. Une réflexion noire, dérangeante, mais pas sans lumière sur la condition humaine. Je recommande avec prudence.

nostromo
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le 23 juin 2015

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