Alors que j'entame mon énième relecture de l'oeuvre de Sir Terry Pratchett, l'un des seuls auteurs dont je conseillerais à n'importe qui la lecture au moins mensuelle pour échapper à la dépression, retrouver confiance en soi, et faire revenir l'être aimé, je me dis qu'il est tant de décortiquer pourquoi j'aime tant cet auteur.


Tenter d'entrer dans l'univers de Pratchett en passant par la Huitième Couleur est un choix périlleux.


Personnellement, je n'en ai fait la lecture qu'assez tard ; l'ordre de lecture n'étant non pas dicté par mes préférences personnelles ou l'ordre de parution, mais tout bêtement par la disponibilité de l'ouvrage dans les rayons de la médiathèque. J'ai donc d'abord traîné mes frusques au Jolhimôme, à Lancre, à Olive-Oued, et bien sûr dans les ruelles cradingues des Ombres avant d'accompagner Rincevent et Deuxfleurs dans leur périple autour du Disque.


C'est sans doute pour cela que j'ai apprécié la Huitième Couleur : je savais à quoi m'en tenir concernant la suite.


S'il n'est aujourd'hui pas rare de voir une œuvre partir d'un concept extrêmement intéressant pour se perdre en développements futiles et mal amenés, le Disque-Monde ne se situe heureusement pas dans cette catégorie. Avis à ceux qui auraient été rebutés.


Et indépendamment de l’œuvre générale, la Huitième Couleur possède des qualités qui compensent largement ses défauts. Voyez plutôt.



Vacances de l'autre côté de la fantasy



La Huitième Couleur, c'est donc la première aventure de son auteur dans l'univers délirant et ô combien attachant du Disque-Monde, qui dérive dans l'espace juché sur le dos de quatre éléphants eux-même fièrement posés sur la carapace de la Grande A'Tuin, première tortue cosmique de la littérature fantastique.


On y suit Rincevent, étudiant mage raté à l'université de l'Invisible, qui va se retrouver, par la force des événements, en charge de l'escorte de Deuxfleurs, premier Touriste du Disque. Ce dernier, fasciné par les légendes et les personnalités hautes en couleur sillonnant les terres du premier Continent, est bien décidé à tout voir, quitte à se mettre, souvent par ignorance, dans les situations les plus dangereuses.


Disons-le tout net : le Disque est, à ses débuts, un pastiche savoureux des univers d'heroic-fantasy des années 80.


Peuplé d'individus terriblement obtus et bourrés de défauts, cet univers est au premier abord assez semblable à ce que vous pouviez trouver dans la littérature pulp à la même époque.


Chaque concept subit toutefois le traitement malicieux de Pratchett, pour en ressortir en une version moqueuse de l'original : vous y trouverez beaucoup d'histoires de barbares et de temples maudit, mais attendez-vous à quelques surprises.



L'ombre du magicien



Mais là où certains se seraient contentés de se moquer des clichés, on sent déjà chez Pratchett l'envie de pousser son idée un cran plus loin, l'imaginaire de l'auteur qu'il deviendra.



  • Rincevent et Deuxfleurs d'abord : Le personnage de Deuxfleurs,
    archétype du touriste un peu inconscient, très naïf, sert de point d'entrée
    au lecteur dans cet univers loufoque, puisqu'il le découvre en même temps que lui. Et il va être l'occasion pour l'auteur de chambouler son univers, via plusieurs décalages techniques assez rigolo à suivre. Quant à Rincevent, héros malgré lui de l'aventure, cynique, incapable de jeter un sort, trouillard, paresseux et casanier, il constitue un
    personnage incroyablement attachant.

  • Une profusion de bonnes idées : la Mort, qui déteste qu'on soit en retard aux rendez-vous, le Disque, univers plat juché sur le dos d'une tortue géante, le Bagage ou la boîte à images. Ce qu'il n'invente pas, il s'en moque allégrement. Le fait de faire du Disque un univers saturé de magie justifie toutes les bizarreries, les adaptations, et les idées loufoques.


Mais la Huitième Couleur n'est jamais aussi haut que lorsqu'il réconcilie des concepts modernes avec son univers fantastique.


La première partie est à ce titre un petit régal, mais on sent que l'auteur ne souhaite pas pousser son concept plus loin. Là où des années après, le sieur Pratchett n'hésitera pas à dédier un tome entier à l'apparition du cinéma dans le Disque-Monde, le premier touriste n'est ici prétexte qu'à quelques blagues parmi d'autres.



L'enthousiasme des débuts



Après quoi le récit dérive sur de l'heroic-fantasy plus convenue, mais pas moins savoureuse, où nos deux compagnons vont promener de situations clichesques en situations clichesques, l'un son émerveillement sans borne, l'autre sa grogne et sa pantouflardise.


C'est à mon sens parce qu'il veut d'abord être une parodie de fantasy que la Huitième Couleur perd de sa force.


En effet, parodiant également le format épisodique de bon nombres de publications du genre, chaque chapitre est surtout l'occasion de se moquer d'un cliché, ce qui se traduit par :



  • un ouvrage qui est plus une somme de chapitres qu'un tout,

  • de nombreux deus ex machina (totalement assumés, mais toujours bien
    présents),

  • quelques répétitions assez lourdes à la longue.


Le livre foisonne de clichés tournés en dérision, l'auteur multiplie les trouvailles et mélange allégrement modernité et fantasy. Et le style est logé à la même enseigne : étrange, souvent cynique, foisonnant de descriptions loufoques... N'ayez pas peur : ça se lit bien.


Mais soyons francs, Pratchett en fait trop. Tout simplement parce qu'il n'a pas vraiment d'intrigue générale à développer. Comment le pourrait-il ? Son livre est le voyage d'un touriste.


Promenant son lecteur de blagues en blagues, se moquant allégrement des clichés de la fantasy, la Huitième Couleur ne se pose jamais vraiment comme un ouvrage construit, mais plutôt comme une succession d'étapes, un voyage. Reste que chaque étape vaut le détour, et que le voyage est essentiel pour mieux apprécier l'évolution de l'univers et le gain en maturité de son auteur.

Créée

le 21 mai 2015

Critique lue 227 fois

Hamsolovski

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