A Bernard (Werber)

Avertissement : cette fiche contient des vrais morceaux de texte pouvant entraîner une accoutumance chez les esprits sensibles.


Histoire de se mettre dans l’ambiance.

« La mémoire de la terre est étrangère à celle des hommes. On croit tout connaître de l’histoire et du monde, mais il est des âges oubliés où se croisaient encore mille merveilles aujourd’hui disparues. Seuls les arbres se souviennent, et le ciel et le vent. Et si un soir d’été, l’âme bienveillante, vous vous allongez dans l’herbe et vous les écoutez le cœur ouvert, vous entendrez peut-être cette histoire d’un autre temps, au pays de Gaelia ; celle de la louve blanche et de l’enfant qu’on appelait Aléa. »

La louve et l’enfant est le premier volet d’une trilogie (mon numérologue me dit que c’est un bon chiffre) sans doute destinée à un lectorat en vacances (de cerveau). Mais comme on dit, il faut de tout. En tout cas, j’en déconseille vivement la lecture à Daylon car elle manque quelque peu de cambouis.
Avant de m’insulter, veuillez lire ce qui suit.

Light fantasy allégée

La taxonomie, dont je suis un fervent usager, me pousse à classer ce roman dans la catégorie fantasy post tolkien. Certains diraient une tolkiennerie, et ils n’auraient pas tort. Je rappelle aux béotiens que Tolkien a donné naissance, bien involontairement, à un domaine de l’imaginaire qualifié de High fantasy. Bon ici, elle est un peu light comme high. Pas de quoi faire grossir une pile de lecture.
Cette classification de mon cru, qui peut paraître définitive, se fonde sur l’observation d’un nombre conséquent de critères de convergence dont voici un aperçu. Pour commencer, l’action de La louve et l’enfant se déroule dans une Irlande à peine masquée (voir la carte au début de l’ouvrage) peuplée de créatures et êtres étranges ; silves, Gorgûns, druides… ; qui ne sont que des décalques éminemment transparents des elfes, orcs et magiciens qui agrémentent « Le seigneur des anneaux ». Le lecteur y trouve, non un seigneur ténébreux mais un seigneur des Gorgûns (j’abrège quelque peu la titulature du Maousse) et, non des cavaliers noirs, mais des Herilims, terrifiants voleurs d’âmes (si l’on a moins de cinq ans). Le héros, en l’occurrence l’héroïne tout juste pubère, est porteur d’une bague trouvée par hasard dont le pouvoir est convoité par beaucoup de personnes et elle est accompagnée par ce que l’on peut appeler une communauté hétéroclite. Je m’arrête là.
Rien de bien nouveau finalement. Néanmoins, mon petit doigt, le fourbe, me souffle que c’est dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleures recettes. D’accord, mais encore faut-il avoir l’art d’accommoder les restes, ce qui fait défaut manifestement à l’auteur.

Des bons, une bête et des très méchants

La louve et l’enfant comporte son quota de personnages mémorables. Des larmes, qui ne sont pas d’émotion, rendent mon regard tout brillant encore lorsque je me les remémore. Attention, les psychologies de ceux-ci peuvent paraître compliquées tant elles sont basiques. J’ai moi-même relu trois fois ce qui suit pour voir si je n’avais pas rêvé (bah non !).

D’abord les bons (vous suivez, c’est très difficile de se repérer !)
- Commençons par le héros (diable, c’est une adolescente)
« Aléa était différente, et on le lui avait répété mille fois. Elle n’avait pas le physique habituel des Sarrois. Tout en elle la distinguait des autres villageois ; son corps mince, sa peau brune, ses yeux bridés et sa chevelure noire sauvage, longue et raide. »
Un bon point donc, j’aime les brunes surtout avec une chevelure à dresser. L’adhésion du lecteur est un critère primordial. Aucun doute qu’elle est acquise ici (en tout cas avec moi)

Maintenant, examinons sa compagnie.
- Le nain Mjolln (à prononcer la bouche pleine de pommes de terre chaudes, rigolade assurée en soirée)
« Quel étrange personnage ! Elle avait déjà vu un ou deux nains dans des auberges de Saratea, mais elle parlait avec l’un deux pour la première fois et trouva qu’il avait l’air plutôt sympathique, malgré sa vois sourde et rauque et son étrange façon de parler. Il était vêtu de cuir des pieds jusqu’à la tête, portait deux ceinturons, une gourde en bandoulière et un drôle de chapeau marron coiffé d’une longue plume d’oie toute blanche. Dans son dos on voyait dépasser les tuyaux en bois de son instrument de musique, et quand il bougeait quelques notes s’en échappaient. Il était plus petit qu’Aléa mais beaucoup plus large, et sa barbe rousse frottait contre son torse. »
Il faut toujours un nain bourru dans un bon récit de fantasy. En plus, il chante et joue de la cornemuse. Il va mettre le feu !
- Le druide Phelim
« Il était entièrement chauve et on avait peine à deviner son âge ; une seule chose était sûre : il était très vieux, mais avait gardé un regard fort pétillant. Un bouc de poils gris et blancs, taillé de près, soulignait son menton proéminent. Son large front était le plus effrayant, comme s’il cachait un tas de pensées bizarres que la petite n’osait imaginer. »
Sans mage quel dommage. Bardé de pouvoirs magiques dont les très utiles talents de manipulation des boules de feu et de transformation en flamme (ciel, un des quatre fantastiques), le mage est une valeur sûre. Henri nous gâte.
- La barde Faith
« Au milieu de la soirée, alors qu’elle commençait à sentir la fatigue, Aléa aperçu une femme à la beauté saisissante qui entrait dans l’auberge avec une harpe sous le bras. Les clients se turent un instant et quand ils reprirent leurs conversations, ce fut avec un entrain redoublé, comme si l’entrée de cette femme les avait tous enchantés. Elle n’était pas vêtue comme les dames de Saratea et marchait avec une assurance et une agilité remarquables. Elle portait un corsage en feutrine à col haut et aux manches bouffantes, d’un bleu élégant qui ajoutait à la noblesse de son maintien. C’était le bleu des bardes, la couleur qui leur était réservée, et ainsi Aléa n’eut aucune peine à deviner le statut de la nouvelle arrivante. Une barde ! Incroyable ! Au milieu de son corsage était brodée la silhouette gracieuse d’une licorne, son blason. Au lieu d’une robe elle portait une culotte longue et légère, noire, qui lui collait à la peau et soulignait le galbe de ses longues jambes. Sa chevelure rousse tombait dans son dos dans un enchevêtrement de mèches et de boucles gracieuses. »
Le côté glamour n'est pas négligé. Hourrah pour Henri !
- Galiad le Magistel, comprendre le garde du corps, de Phelim
« (…) Un guerrier immense en armure de cuir clouté sur une cotte de mailles et dont les longs cheveux noirs étaient noués dans le dos. »
Le gros costaud de l'histoire avec un catogan, c'est très tendance.

Passons aux très méchants.
- Maolmordha le seigneur des Gorgûns, maître des Herilims, porteur de la Flamme des Ténèbres.
« Dans son regard brillait la mort de ses victimes passées et de ses ennemis futurs. Il ne bougeait pas mais son immobilité évoquait déjà la puissance. Comme une force lente, destructrice, que rien ne pouvait arrêter. Il n’y avait plus rien d’humain dans cette créature silencieuse, ni dans son regard, ni dans le sourire menaçant qu’on devinait dans l’ombre de son visage. »
Voilà un chef des méchants qui en jette ! On le sent encore un peu sur sa réserve dans ce tome même si il apparaît terrible, monstrueux, musclé*, méprisant, emplis d’une haine irréversible et meurtrière. Mille diables quelle carte de non visite !
(* authentique. Les personnages dans ce roman sont souvent musclés comme le roc)
- Suthor, le jeteur d’ombre, prince des Herilims.
« Il mesurait près de 2m15 et ses muscles semblaient taillés dans le roc. Son armure noire assombrissait encore davantage son visage lugubre et sous son casque scintillaient les billes ténébreuses de ses yeux. »
Alors celui-là, c’est un vrai méchant. Où il passe les têtes volent dans des gerbes sanglantes du plus bel effet et de surcroît il chevauche un cheval qui écrase les têtes qui gisent sur le sol dans des mares écarlates. De quoi briller en société.

Enfin, pour la fin la bête.
- Imala la louve.
« Imala n’était pas une louve comme les autres. (…) elle avait toujours eu du mal à se faire accepter par la meute, peut-être à cause de la blancheur de sa fourrure, ou à cause de la fierté qu’elle semblait en tirer. »
Je n’aime pas les loups. Ce ne sont jamais rien que des chiens mal élevés.

Mais des personnages ne sont rien sans l’histoire nécessaire à l’interaction entre leurs psychologies. Ici elle tient toutes ses promesses, hélas.

A votre bon cœur ! C’est une quête !

Comme il se doit (verset 2 du dogme de Hard fantasy), La louve et l’enfant est une quête initiatique avec prophétie et menace de conflit dévastateur entre le bien et le mal. Le bien semble mal barré lorsque la bague surpuissante du Samildanach tombe entre les mains d’une souillon adolescente et impure de surcroît. Aussitôt, elle devient la dépositaire du pouvoir et détient entre ses mains sales le sort de la Gaelia. Fort heureusement, les évènements vont l’endurcir et l’amener à se surpasser. Je regrette néanmoins, qu’à l’issue du présent tome, elle n’ai pas vu le loup. C’est évidemment personnel (désolé, c’est le collant noir de Faith soulignant le galbe de ses longues jambes qui m’enflamme et pourtant je ne suis pas druide)
Comme de bien entendu, cette quête plus personnelle se déroule sur la toile de fond d’un monde qui se veut médiéval fantastique mais qui s’avère médiéval ectoplasmique. En effet, pour la densité et la profondeur de l’univers, on peut repasser. Au moins, chez Tolkien il existait une puissance d’évocation, notamment dans les descriptions des lieux, qui rendait moins pénible la simplicité de l’histoire. Dans La louve et l’enfant, le monde est épais comme une feuille de papier à cigarette. En conséquence, il n’y a rien pour masquer un récit téléphoné, des dialogues de style télégraphique, des réflexions de la profondeur d’une pataugeoire et des scènes d’action découpées à la hache. Certes, La louve et l’enfant est écrit de manière efficace mais sans aucune originalité.

En conclusion, La louve et l’enfant est une expérience de lecture bouleversante. Ô que j’ai hâte de lire la suite.
leleul
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le 30 oct. 2012

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leleul

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