Ecrite en 1932, et jouée pour la première fois en 1934, cette pièce met en scène l’arrivée d’Œdipe à Thèbes, ou plutôt son « retour » après son départ de Corinthe. En effet, « La Voix » nous rappelle, avant même que la pièce ne commence, les tenants et aboutissants de l’histoire à laquelle nous allons assister : Œdipe, s’étant vu annoncer par l’oracle de Delphes un destin terrible – « Il tuera son père. Il épousera sa mère » - décide de quitter son berceau natal, ne sachant pas qu’il s’agit en réalité de son berceau d’adoption. En effet, ses parents Jocaste et Laïus, roi et reine de Thèbes, ayant également eu la prédiction au moment de sa naissance, l’abandonnent dans les bois, pensant qu’il y mourra ; mais il est recueilli et adopté par le roi et la reine de Corinthe. Lorsqu’il apprend qu’il est voué à commettre le meurtre et l’inceste, il part sur les routes, croise Laïus, sans savoir qui il est ; ils ont une altercation, et Laïus meurt. Après avoir tué son père, il se précipite sans le savoir dans les bras de sa mère, puisque cette dernière a promis sa main à celui qui parviendrait à débarrasser Thèbes du fléau qui l’assaille, le Sphinx. Après ce résumé, Cocteau nous livre ce qu’il va nous montrer, et qui justifie le titre choisi pour la pièce : « Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec une lenteur tout le long d’une vie humaine, une des plus parfaites machines construite par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel ».

La pièce comporte 4 actes : les 3 premiers respectent la règle classique de l’unité de temps au théâtre (ils se déroulent en 24h), puis le dernier a lieu 17 ans après.

Le style quant à lui s’éloigne assez largement du style classique : Cocteau mêle ironie, humour, anachronismes, ridicules de situation, ridicules des personnages (Tiresias est ainsi surnommé « Zizi » par Jocaste), et travestit quelque peu les personnages, qui perdent ainsi leur grandeur tragique. On y découvre un Œdipe jeune et fougueux, qui se regarde dans le miroir, prend des pauses ; Jocaste est une veuve un peu diva, dépassée par ce qu’il y a autour d’elle et quelque peu obsédée par son vieillissement ; les soldats se chamaillent ; Œdipe a tué Laïus presque par inadvertance, un mauvais concourt de circonstances. Le Sphinx, personnage féminin, conserve une certaine grandeur, mais c’est Anubis, transfuge d’un autre univers mythologique, qui doit lui rappeler à sa mission et à la mise en scène de sa grandeur, pour faire peur aux hommes. Car il s’agit bien d’une sorte de « chasse à l’homme » à laquelle se livre le Sphinx, allégorie de la Femme fatale qui fait succomber les jeunes hommes. Décrite comme « la Jeune fille ailée », « la Chienne qui chante », elle montre pourtant elle aussi un caractère humain et une certaine faiblesse : lasse de tuer, elle se lance dans une forme de négociation avec Œdipe. Laïus enfin n’est pas en reste : décrit comme un « vieillard » dans le récit d’Œdipe, il apparaît aux soldats comme un fantôme qui veut prévenir que la prophétie est sur le point de se réaliser, mais il ne parvient pas à s’exprimer, il est un personnage impuissant.

Si l’on rit et sourit à la lecture de cette adaptation – très libre – du fameux mythe, si son côté loufoque séduit et divertit, on regrettera peut être que Cocteau ne pousse pas plus loin certains traits d’écriture. On commence à peine à se régaler des anachronismes que déjà il n’y en a plus ; on commence à cerner la folie douce d’un personnage, mais déjà il disparaît de la scène. A l’inverse, on se lasse un peu de certains traits de caractères un parfois trop redondants. Mais cette pièce a pour le moins l’intérêt d’avoir réussi à apporter une forme de modernisation, tout en gardant le contexte et le décor antiques, et le mélange des genres est plutôt réussi.

Reste qu’il faut également apprécier le genre : si on aime à aller au théâtre voir un spectacle, pour autant aimera-t-on toujours l’histoire et les échanges une fois ceux-ci mis sur papier ? Les descriptions des scènes et des costumes peuvent quelque peu casser le rythme et rendre laborieuse la lecture. Si cela ne vous donne pas le goût de lire d’autres pièces, cela pourra peut être néanmoins donner l’envie à certains de se rendre au théâtre !

Léa Breton
madamedub
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le 30 déc. 2012

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