Je me souviens avoir abordé vipère au poing avec incertitude. Dans le contexte, le livre était une lecture obligatoire, et en ce temps, intérêt littéraire rimait avec Stephen King. C'est sous forme d'indigestion que je me suis rempli la panse culturelle du premier bouquin de ce cher Bazin.
4 ans plus tard, mon goût pour la littérature s'est affiné, mes connaissances élargies, et mes intérêts variés. Au détour d'un marché du livre, je suis rentré avec plus d'une quarantaine de bouquins pour armer ma bibliothèque d'une parure un peu plus digne que ses plus simples appareils. La mort du petit cheval semblait esseulé au fond d'un carton. Une lueur de nostalgie doublée d'un intérêt à la redécouverte m'ont poussé à le ramasser. Le livre aura attendu son tour, suivant un Jules Verne sympathique et loin des drames familiaux et un Ionesco absurde. La mort du petit cheval m'a replongé dans une certaine gravité qui allait de paire avec ma période d'examens. Donc, difficile de l'employer comme échappatoire à une réalité difficile et alarmante.
Dans ce contexte, je ne peux qu'avouer que la première partie m'a agacée. En fait, Brasse-Bouillon m'agace ; et donc, l'auteur m'agace. La couche sédimentaire de désinvolture recouvrant le marbre finement taillé de calculs machiavéliques me convainc du coeur de pierre du personnage. Brasse-Bouillon est un penseur sans coeur.
Pourtant, je ne suis pas particulièrement fan de l'exaltation des sentiments en règle général ; encore moins en période difficile qui durcira mon jugement sur la lecture. Mais Brasse-Bouillon n'aime que lui, et de ce fait, il se suffit à lui-même. Je me suis alors souvenu, page après page, pourquoi je n'avais pas accepté ce vipère au poing quatre ans passés.
Puis Brasse-Bouillon devient M. Rezeau et là, comme le cheval d'enfance, on bascule. Brasse-Bouillon est lentement abandonné pour laisser place à Hervé Bazin ; d'autant plus que la période à laquelle il écrit le livre (fin 49 début 50) n'est pas si éloignée de l'époque de son autobiographie romancée. Je me suis enfin plu à voir ce personnage changé, assagi, mêlant enfin son intelligence à du recul ; justifiant enfin ses dégoûts ; se comportant simplement en homme de rancoeur plutôt qu'en homme sans coeur.
J'ai tourné la dernière page dans le métro en rentrant chez moi tard le soir ; et l'odeur du livre, les études d'il y a 4 ans, le ciel étoilé sur le chemin, les arbres où on pourrait imaginer des "VF" gravés à chaque relief me remplissaient de nostalgie et me faisaient remercier d'avoir encore aujourd'hui une mère formidable.