Avec « la puissance et la gloire », Graham Greene nous emporte au Mexique dans les années 30, alors que le pays subissait la forte influence de l’ancien président Plutarco Elías Calles, père de la Constitution mexicaine de 1917 et du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) né en 1928. Fort de lutter contre une société encore très féodalisée, Calles prend des mesures anticléricales drastiques : expulsion des ecclésiastiques étrangers, fermeture de la plupart des églises, interdiction des célébrations religieuses. Les prêtres mexicains sont défroqués et mariés de force : ils doivent désormais honorer leur bourgeoise comme tout homme qui se respecte et tout acte religieux leur ait interdit.
Ces lois ne sont pas appliquées avec le même zèle dans les états. Le Tabasco, état du sud du pays et théâtre du roman de Greene est l’un des plus répressifs alors que le Chiapas voisin – qui jouxte le Guatemala – célèbre des messes quotidiennes.
Le personnage central de Graham Greene est un prêtre misérable. Contrairement à ses semblables, il n’a pas fui dans une province voisine. Ce n’est pas véritablement un choix conscient mais davantage une non-décision qui l’a d’abord poussé à attendre un peu dans l’espoir que les choses se tassent d’elles-mêmes. Puis, le temps passant, son inertie lui est apparu comme un acte de résistance dont il ne put s’empêcher de tirer un certain orgueil. Sa vie se compliqua alors singulièrement. En fuite permanente, il fut dans l’obligation de se cacher pour ne pas être pris, emprisonné et exécuté. Se cacher des autorités d’abord, puis des villageois ensuite. Non pas que les petites gens l’eussent dénoncé – encore qu’on ne soit jamais trop prudent –, mais l’aide que ceux-ci auraient pu lui porter leur auraient coûté, l’armée fusillant toute personne assistant le fuyard.
Le dernier prêtre de l’état, irréductible, résistant encore et toujours aux marxistes se mit à boire. Et pas seulement le vin de la messe qu’il célèbre chaque fois qu’il le peut malgré l’interdit. Des trucs plus forts comme le cognac ou tout autre alcool qu’il parvenait à se procurer à prix d’or. Car, comme aux USA, un régime de prohibition sévissait à cette même époque faisant naturellement flamber les prix même s’il ne diminua jamais la consommation.
Et c’est sous l’emprise de cet alcool prohibé que l’irrémédiable se passa : le prêtre se trouva au lit avec une femme. De cet épisode de luxure – pêché mortel dont il ne pouvait se confesser faute de confesseur – naquit une petite fille : Brigitte. Même s’il ne put se sédentariser pour vivre sa vie de famille, l’homme de Dieu aima profondément sa faute…
Tout autour de ce personnage emblématique, une cohorte de personnages secondaires agrémente le roman : Mr Tench dentiste, le « jefe » (le chef de la police) à la dent cariée, Mr et Mrs Fellows et leur petite fille, Mr et Miss Lehr… et les « chemises rouges », milice paramilitaire plus royaliste que le roi.
Le lecteur suit cet homme indigent qui ne sait plus à quel saint (sein) se vouer. Il erre sans fin entre les marécages littoraux et les montagnes de l’intérieur, les plaines et les épaisses forêts entre chaleur sèche et violents grains de la saison des pluies. Je retrouve la belle écriture de Graham Greene déjà rencontrée dans « La saison des pluies » écrite 20 ans plus tard, la même chaleur étouffante qui écrase tout, la même atmosphère tropicale.
Graham Greene, fervent catholique, signe un roman qui fit polémique et qui fut condamné par le Saint-Siège.
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le 18 mars 2014

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