Il est des lectures parfois, qui vous éclatent en pleine figure comme l’éclat d’un diamant. Coup de bol, j’ai eu droit à deux éclats dans la même semaine ! D’abord la première, il s’agit d’un ouvrage qui résonne particulièrement dans notre actualité à l’occasion de la « commémoration » des émeutes de 2005 : « La rage et la révolte » de Alèssi Dell’Umbria, livre paru en 2010 (mais une partie était déjà parue en 2006 sous le titre « C’est d’là racaille, et bien j’en suis »). Le ton est rapidement donné dans cet ouvrage écrit, non pas par un sociologue, mais par un adulte qui a milité à l’ultragauche dans les années 80 et à connu les premiers mouvements de masse dans les années 80, et vu certaines associations surfer sur cette vague pour exister. Dans ce collimateur, principalement SOS Racisme, mais pas que… De toute façon Alèssi Dell’Umbria adopte un ton qui donne qui soutient l’émeute, et mieux, opère une petite juxtaposition symbolique avec la Commune de 1871. Et c’est vrai qu’il y a quelques points communs.
Difficile de résumer son ouvrage, ni sa thèse, ce n’est pas tant la complexité (il est très abordable dans son raisonnement, voire limpide), mais la largeur du spectre que son analyse englobe. On passe ainsi des quartiers (et de la politique qui nous a mené au désastre) à la mondialisation et les flux de l’immigration. Mais le cœur du propos concerne en vrac, la religion, le sécuritaire, la politique et les politiciens…
Alors je vais me contenter de quelques extraits bien choisis :


« Dans un pays où toute une partie de la population résout ses frustrations en s’enfermant dans la camisole pharmaceutique, les jeunes incendiaires se sont trouvé une autre voie thérapeutique, celle du vandalisme ».


« Les jeunes incendiaires de banlieue n’étaient pas tous d’origine immigrée, bien que ceux-ci aient constitué le gros des troupes, mais tous étaient pauvres – une fois qu’on a rappelé ça, on y voit déjà plus clair ».


« Quiconque a déjà subi une interpellation par la B.A.C, ou en a simplement été témoin, comprendra que ces pauvres minots (à propos de Zyed et Bouna) aient paniqué à la perspective d’un contrôle, au point d’aller se réfugier dans un transformateur électrique ».
« Dans l’imaginaire télécommandé des Français, les « racailleux » sont donc tout désignés pour jouer les barbares de service. Mais dans ce mauvais film où ils font les méchants, qui donc fait les gentils ? Ces Français moyens barricadés chez eux, dont certains ne craignent pas de clamer tout haut qu’ils considèrent normal de flinguer un gamin traînant autour de leur voiture et qui confient l’éducation des leurs à la télévision, à Internet et à la Play-station ? Ceux-là mêmes qui font de la France le plus gros consommateur d’anxiolytiques du monde ? Sans doute pour endormir le monstre qui sommeille en eux… ».


« Ici, se faire traiter de victime est une insulte ».


« L’espace public, du fait qu’il est supposé appartenir à tous, n’appartient en réalité à personne. La seule instance qui ait le droit de l’investir, c’est la police. L’espace public, c’est le territoire de l’Etat ».


« SOS Racisme put faire son entrée en scène, les jeunes issus de l’immigration disparaissant derrière des bateleurs professionnels et se faisant déposséder de leur parole. La révolte des banlieues pauvres se trouve circonscrite à la seule question du racisme, alors que celui-ci, pour bien réel et intolérable qu’il fût, n’était qu’un aspect de l’exclusion sociale ».


« La gauche n’est pas la solution au problème, elle fait partie du problème. Parce que faute d’avoir jamais été révolutionnaire, elle n’a même plus les moyens d’être réformiste. Elle se contente d’agiter des épouvantails pour mobiliser ses troupes. Faire barrage au FN devint ainsi, dès les brillantes années du mitterrandisme, l’ultime argument ».


Je cesse ici l’aperçu de cet ouvrage puissant par son analyse et sa lucidité. Lisez-le, vous vous endormirez moins con… Et surtout, vous pourrez mesurer à quel point ces gamins de banlieues, ces lascars, sont les dignes et seuls héritiers de notre passé révolutionnaire. Lu ainsi, ils sont bien plus intégrés que la grand majorité d’entre-nous. Bien sûr, il y a quelques toutes petites contradictions, et surtout, il y a un tel mépris affiché pour ceux qui ont tenté, parfois naïvement, de proposer des alternatives, que l’on se demande qui peut trouver grâce aux yeux de l’auteur. Mais parfois la radicalité a du bon, à commencer par voir les choses sous un autre angle. Et dans les choses, il y a notre point commun à tous, notre envie de démocratie qui aujourd’hui, n’est plus qu’une illusion.


Quatrième de couverture : Les incendies de la banlieue ne posent pas la question des droits mais celle de la lutte sociale réelle. Parce que les jeunes chômeurs-à-vie et précaires qui naissent et grandissent dans ces zones de relégation ne sont pas le résultat d'une injustice particulière mais la condition de fonctionnement d'un pays capitaliste avancé. Vingt ans après la défaite de la première vague de contestation dans les banlieues pauvres, la dislocation sociale a progressé, l'exclusion s'est faite plus radicale et la misère culturelle et politique sans limites. Les jeunes révoltés sont l'encombrant produit de cette dislocation. Dans cet espace sans appartenance où ils grandissent, certains tentent de s'en construire une au niveau le plus élémentaire qui soit, celui de la bande, de la meute. Nés dans un monde hostile, ils se montrent hostiles à tout le monde.

Kerven
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le 17 déc. 2015

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