« C’est vrai, Derfel, répondit Merlin et il leva son visage ravagé vers les barreaux grossiers. Tu vénères un dieu fantôme. Il s’en va,


tu comprends, tout comme nos Dieux s’en vont. Ils partent tous,
Derfel, ils plongent dans le vide. Regarde ! Il désigna du doigt le
ciel nuageux. Les Dieux arrivent et repartent, Derfel, et je ne sais
plus s’ils nous entendent ou s’ils nous voient. Ils défilent sur la
grande roue des cieux, et en ce moment, c’est le Dieu chrétien qui
règne, et il régnera pendant un bon moment, mais la roue l ’emportera
dans le vide lui aussi et l’humanité frissonnera une fois encore dans
l’obscurité et cherchera de nouveaux Dieux. Ils les trouveront, car
les Dieux vont et viennent, Derfel, ils vont et viennent. »



Aelle et Cerdic se sont réconciliés. Usant de la stratégie d’Arthur, ils prônent désormais l’union de tous les Saxons et entretiennent la division chez leur adversaire britton. Une multitude de navires a traversé la mer, débarquant sur l’île une horde d’hommes et de femmes affamés de terres prêts à les renforcer. Face à la menace, Merlin s’apprête à invoquer les anciens dieux, utilisant pour cela les Treize Trésors de Bretagne. Il ne lui manque plus que l’épée de Rhydderch qu’il a jadis confié à Arthur. Autrement dit, Excalibur.


Mais pour le seigneur de la guerre britton, les diverses croyances religieuses sont autant d’obstacles à sa foi obstinée dans la bonté innée de l’homme et à son adhésion à l’inviolabilité des serments. Il compte davantage sur son génie militaire et sur le fer des lances et le mur inébranlable des boucliers de ses guerriers pour vaincre l’ennemi. Une foi qui le pousse à s’opposer à Merlin, mais surtout à Nimue.


Et pendant que les événements s’acheminent vers la conflagration apocalyptique du Mynydd Baddon, les dernières pièces de la légende se mettent en place.


Troisième et ultime volet de la « Saga du Roi Arthur », Excalibur tient toutes les promesses esquissées par les deux précédents tomes, et bien davantage. Le roman se révèle en effet comme le récit le plus épique et le plus dramatique. Bernard Cornwell continue à historiciser les motifs de la « Matière de Bretagne », réinterprétant la légende dans un registre réaliste.


La bataille du Myrddyn Baddon apparaît ici comme le point d’orgue du troisième épisode de la saga. Un morceau de bravoure d’une centaine de pages où s’exprime une violence sauvage, dépourvue de pathos et de toute velléité de gloire. De ce combat dont les plus anciennes sources historiques ne mentionnent que l’incertitude de la datation ou de la localisation, quant elles n’invalident pas l’existence d’Arthur lui-même, Bernard Cornwell fait un carnage dantesque et viscéral, ne nous épargnant rien de la brutalité des affrontements ou du sort des vaincus, livrés à la vengeance des vainqueurs qui pillent leurs bagages, violent leurs femmes, massacrant ou réduisant en esclavage leur parentèle. Sous la plume de l’auteur anglais, la bataille confine à une tuerie de masse où la victoire pue le sang et la merde, transformant une vallée paisible en abattoir hanté par les cris des blessés à l’agonie.


Le traitement des personnages reste toujours très intéressant, Bernard Cornwell ayant opté d’emblée pour une déconstruction de certaines représentations classiques. Les femmes se voient ainsi conférer une plus grande place, ne se cantonnant pas simplement au rôle de repos du guerrier ou d’inspiratrices de ses exploits. De même, il prend le contre pied du personnage de Lancelot, faisant du chevalier une figure détestable, la parfaite incarnation du traître, lâche et égotique.


Enfin, l’auteur anglais continue de pousser sur le devant de la scène des personnages secondaires du mythe, faisant de Derfel Cadarn, figure tout à fait mineure du légendaire, le narrateur et le témoin principal de l’histoire d’Arthur. De même, il continue de puiser dans les contes du « Mabinogion », les quelques éléments arthuriens, ancrant le récit dans le monde celte du Pays de Galles. Une démarche n’étant pas sans rappeler celle adoptée par Chauvel et Lereculey dans leur série « Arthur ».


Jusque-là réduite à la portion congrue, la magie tient davantage de place dans Excalibur. Une magie brute, sauvage et primaire, dénuée d’artifice ou de poudre de Merlin-pinpin, mais fort heureusement nullement envahissante.


De la même façon, la légende tend à prendre l’ascendant sur l’Histoire. On se retrouve ainsi dans un registre proche de celui adopté par Cothias et Rouge dans la série « Les Héros cavaliers », où le substrat historique fournissait un cadre et un contexte tangible au légendaire arthurien. De ce glissement vers la fiction, Bernard Corwell tire un sens de la dramaturgie qui impressionne et insuffle à son récit un souffle épique indéniable. Il illustre de belle manière cette porosité des croyances et mythes, sans cesse réécrits pour correspondre à l’imaginaire des hommes et à leur aspiration à l’âge d’or, l’autre nom de l’utopie.


Au final, la « Saga du Roi Arthur » se révèle une fresque historique respectueuse de la « Matière de Bretagne », mais pas au point de verser dans un classicisme stérile. Bien au contraire, par ses choix narratifs, Bernard Cornwell impulse au mythe une dimension réaliste et épique bienvenue. De quoi entretenir la légende d’Arthur, « notre roi de Jadis et de Demain ».


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leleul
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le 21 mars 2018

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