C'est un beau roman, c'est une belle (petite) histoire que nous raconte Loïc Demey dans la nouvelle qu'il offre à Cheyne à l'occasion des 40 ans de la maison d'édition sise au cœur de l'Ardèche. Sur un thème imposé ("Grandir"), six auteurs de l'écurie de Chambon-sur-Lignon ont donné (de) leur voix et livré de courts textes inédits.


L'auteur lorrain a choisi de suivre la trajectoire de Ziad Ferzat, un jeune tunisien dont le seul objectif est de fuir sa terre pour gagner la France, hypothétique terre promise pour laquelle il est prêt à tout risquer, et bien sûr jusqu'à sa vie. C'est un sujet d'actualité que traite Loïc Demey, celui de la crise migratoire qui voit se jeter sur des rafiot branlants toute la misère et le vain espoir du Sahara. Toutefois, je me garderai bien de donner mon  avis sur le fond : tout juste me permettrais-je de regretter un certain angélisme dans l'abord du sujet, et une rêverie idéologique dont le réel tend à montrer les limites jour après jour. Mais ne versons pas dans l'épineux écueil politique, demeurons sereinement en territoire littéraire.


59 pages d'un road (mais pas que) trip initiatique qui m'a rappelé la phrase de René Char, reprise par Guillaume Sire dans son dernier roman, "Il faut trembler pour grandir". Le personnage va se heurter à la solitude de sa destinée, à la violence crue du monde et à la jungle de ses "lois". Rencontres, hasards et quelques adjuvants lui permettront-ils d'aller au bout de sa quête ? J'ai aimé les passages pittoresques du livre, on sent que Loïc Demey a désiré donner naissance à un texte authentique, s'est renseigné, tant dans le lexique (qui restitue des passages en arabe, à l'image du titre) que dans la géographie des endroits qu'il décrit. J'y ai parfois trouvé des accents de Le Clézio dans Désert.
Jugez plutôt !



Déjà Kirchaou s'engourdit de la tiédeur du matin, les habitations aux murs blanchis volètent dans le silence que troublent les frissons du vent contre les palmes des dattiers. Je ne rencontre personne qui pourrait éteindre ma soif.



Une nouvelle aux tonalités picaresques bien senties qui met une nouvelle fois un jeune héros face à l'imminence potentielle de la mort (à l'instar d'un cœur léger). Loïc Demey sait aujourd'hui dire avec réalisme et brio le fracas des armes, la peur qui ronge les entrailles, les coups de feu et l'instinct de survie qui cherche un abri (p. 36).On retrouve également par moments le goût pour la prose musicale de l'auteur de Je, d'un accident ou d'amour, sa tendance à vouloir jouer avec les sonorités des mots :



(...) le clapotis de la mer qui tapote la coque du bateau en explosant de gouttes. Les bouffées ébouriffent mes cheveux...



Lumineux comme un soleil au zénith, vibrant, poétique, la nouvelle de Loïc Demey n'a finalement qu'un seul (vrai) défaut : sa grande, trop grande brièveté.
(Vivement le pavé )
(à bon entendeur)

BrunePlatine
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le 19 août 2020

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